Il n’est pas certain que lorsque je fais un choix j’exerce réellement mon libre-arbitre. Suis-je réellement autonome au sens où je me donne mes propres lois ? N’est-il pas prétentieux de se supposer libre d’agir sans guide ni garde-fou ? La liberté ne souffrirait-elle aucune détermination ?

Avoir un choix à faire suppose un effort de la volonté, amenant à une décision qu’on dira courageuse parce qu’elle aura tranché. Choisir ne va donc pas de soi. C’est même souvent avec la sensation douloureuse d’aller contre soi-même qu’on se décide enfin, laborieusement. Car choisir, c’est prendre le risque de se tromper, assumer quelque chose d’incertain : on se retrouvera peut-être coupable, il faudra assumer les conséquences de tout choix. Seul l’avenir nous dira si notre décision d’aujourd’hui suscitera des remords, des regrets, ou la satisfaction d’avoir fait le bon choix : celui qu’il fallait faire !

QUI choisit ? Pas une simple personne : il y a les autres, leur respect complique tout, et borne la liberté de chacun. Même avec soi-même on n’est jamais tout à fait d’accord : lorsque je choisis il y a quelque chose en moi qui commande et quelque chose qui obéit.

Impossible de se libérer de ses contradictions internes, des autres, de l’ordre des choses (qu’on l’appelle hasard ou nécessité) : on ne sait pas vraiment de quoi demain sera fait. Nous prenons aujourd'hui des décisions qui auront des conséquences, et nous voilà responsable de ces lendemains, qu’ils chantent ou déchantent : on ne sait pas d’avance, mais on avance en aveugle, volontairement mais pas volontiers.

Devant l’aléatoire ou l’imprévisible, qui se poserait en juge indépendant ? Et indépendant de quoi ? On ne choisit pas ce qui nous entraîne ! Où aller? pourquoi? Peu importe: j’avance donc je grandis, et seul cela importe. Argument ingénieux pour se laisser faire, ou prétendre que les choses se font toutes seules. Comme un bouchon flottant sur les eaux et emporté au hasard des courants, l’homme qui se laisse aller ne maîtrise plus assez son existence pour donner un sens à sa vie et n’avance pas de lui-même.

Des choix s’imposent, il faut choisir, tout simplement parce qu’on ne peut pas tout faire. Choisir, c’est abandonner tous les possibles sauf un : le choix se fait contre ce qui est rejeté. Bel acte de liberté, si l’on oublie que le choix se fait presque sans nous. Dans une gare on peut se croire formidablement libre l’espace d’un instant, quand devant le panneau “départ” on se dit qu’on pourrait prendre n’importe quel train. Mais on n’en prendra qu’un, et seulement celui qui nous a fait venir dans cette gare : les jeux sont faits. Le nombre de possibilités offertes peut sembler infini, notre liberté n’en est pas plus grande : nous ne “choisirons” qu’une possibilité, et dès lors il faudra nous y tenir.

Face à cette fatalité, la joie reste possible, si par “joie” on entend le passage à une perfection plus grande, avec conscience de ce passage : choisir c’est s’engager, c’est agir, faire sa vie, juger. Constater cette formidable capacité, c’est se savoir fort. Et sage. La rationalité est déterminante : un choix est associé avec un objectif, motivé par quelque chose qu’on appellera l’intime conviction, cette voix “au fond de moi-même”, qui me fait m’engager parfois malgré moi.

Choisir c’est créer un futur : tout choix se dirige vers l’avenir et le prépare. Mais tout choix est déterminé, aucun choix ne part de rien. Notre volonté ne surgit pas du néant. Le choix est le passage d’un passé fixé une fois pour toutes vers un avenir indéfini. Chaque choix nous crée. D’où l’angoisse : oser exister est dangereux ! Nous ne sommes libres que lorsque nous nous engageons, et n’exerçons notre libre-arbitre qu’au moment même où nous nous engageons. Notre liberté n'est que dans le choix que nous allons faire parmi nos déterminations : une fois la route choisie, je m’y engage et les dés sont jetés. La liberté s'arrête au carrefour.

François Housset

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Ils ont dit...

“Sachez que personne ne peut dire exactement ce qu’il veut.” Sartre, Lettre à Simone Jolivet, 1926.

“Qui veut voir parfaitement clair avant de se déterminer ne se détermine jamais. Qui n’accepte pas le regret n’accepte pas la vie.” Amiel. Journal intime

“L’entendement est limité... la volonté... infinie... De là vient que bien souvent nous donnons notre consentement à des choses dont nous n’avons jamais eu qu’une connaissance fort confuse.” Descartes, Principes de philosophie.

“Touchant des actions importantes de la vie, lorsqu’elles se rencontrent si douteuses que la prudence ne peut enseigner ce qu’on doit faire, il me semble qu’on a grande raison de suivre les conseils de son génie, et qu’il est utile d’avoir une forte persuasion que les choses que nous entreprenons sans répugnance, et avec la liberté qu’accompagne la joie, ne manqueront pas de nous bien réussir.” Descartes. Lettre à Élisabeth, nov 1646

“Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les événements, mais l’idée qu’ils se font des événements.” “Il ne faut pas demander que les événements arrivent comme tu le veux, mais il faut les vouloir comme ils arrivent ; ainsi ta vie sera heureuse.” “Le maître d’un homme, c’est celui qui a le pouvoir de lui accorder ce qu’il désire, de lui enlever ce qu’il refuse ; celui donc qui veut être un homme libre, qu’il ne désire rien, qu’il ne repousse rien de ce qui dépend d’un autre ; sinon il est esclave, c’est inévitable.” EPICTETE Manuel

“Dès que le sujet cherche à s'affirmer, I'Autre qui le limite et le nie lui est cependant nécessaire : il ne s'atteint qu'à travers cette réalité qu'il n'est pas. C'est pourquoi la vie de l'homme n'est jamais plénitude et repos, elle est manque et mouvement, elle est lutte. Simone de BEAUVOIR, Le Deuxième sexe

“Plus mon espace physique rétrécit, et plus mes horizons spirituels s'étendent. Plus la répression et la torture sont intenses, plus ma charpente interne devient ferme et résistante. Je suis un homme libre.” A. VALLADORES, poète cubain né en 1937,emprisonné depuis 1960.

“Je tiens la liberté pour chose redoutable et désastreuse qu'il faut tâcher de réduire ou de supprimer chez soi d'abord et même si l'on peut, chez les autres. L'effrayant, c'est l'esclavage non consenti, imposé; I'excellent, c'est celui que l'on s'impose; faute de mieux, celui auquel on se soumet. Ô servitude volontaire ! L'art naît de contrainte, vit de lutte, meurt de liberté.” A. GIDE, Journal. Feuillets 11.

“Je ne crois pas, au sens philosophique du terme, à la liberté de l'homme. Chacun agit non seulement sous une contrainte extérieure, mais aussi d'après une nécessité intérieure.” A. EINSTEIN, Comment je vois le monde.

“La liberté n'existe que là où l'intelligence et le courage parviennent à mordre sur la fatalité.” R. CAILLOIS, L’ incertitude qui vient des rêves.

“L’homme est libre en quelques uns de ses actes; de là dérive pour lui la responsabilité de tous ses actes.” J. Lequier, La liberté