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Il n’y a pas d’humour heureux

L’humour, ce n’est pas drôle : quelques blagues prises en exemples au cours du débat ne suffirent pas à nous égayer. Pour expliquer la légèreté de l’esprit, il nous a fallu plonger dans la pesanteur à laquelle il feint échapper.



Nous nous sommes d’abord naïvement étonnés de notre capacité à prendre une distance sur nous mêmes : sommes-nous idiots ou géniaux, pour prendre du plaisir dans les situations les plus terribles ? Comment peut-on rire en voyant un homme avancer difficilement à l’aide de béquilles, puis trébucher et se vautrer piteusement ?! Nous arrivons à rire devant le déplorable, l’absurde, l’horreur : c’est comme si nous devenions fous devant le mal, chatouillés par la douleur; à croire que les gens heureux n’ont pas d’histoires drôles. Allez, une bonne blague sur le cancer !

“L’humour est la politesse du désespoir”. Cette terrible formule de Kierkegaard donne raison au désespéré. La politesse dont il s’agit, infâme au premier abord, est en fait une vertu louable. En nous forçant à sourire devant des êtres détestables et des évènement horribles parce que “cela se fait” (et surtout parce qu’on y a intérêt), la politesse nous oblige finalement à trouver de l’aimable dans le plus détestable. Pareillement, parce qu'il nous oblige à sourire, l’humour nous rend vertueux : il nous donne une apparente légèreté quand bien même nous serions enchaînés au fond d’un gouffre. C’est cette légèreté, même artificielle, qui permet de dire de certains qu’ils “ne manquent pas d’air”.

Ne restons donc pas sérieux : on n’est plus à l’aise dès que l’on contemple toute chose avec l’œil d’acier du réaliste inflexible. Le délire enthousiasme parce que la raison peut être insupportable. Enfermé dans ses conceptions rigides, le plus lucide des hommes ne vit plus dans la spontanéité; il a besoin d’être ramené à la vie par une secousse salutaire.


ON A TROUVÉ DE L'EAU SUR MARS





La lucidité est trop sévère : refusons cette lourdingue ! L’adulte s’ennuierait trop dans son sérieux, s'il ne régressait par moments, pour décompresser. C'est pourquoi il convient de court-circuiter sa raison, si froide qu’elle glacerait. Il faut de la passion, du délire, comme carburants, la raison a donc tort de raisonner. L'entende-ment, le rire bête, s'en affranchit. Le libre-arbitre, pour être libre, ose dès l'abord secouer son joug, d'un éclat de rire se distanciant de tout donneur de leçon. C'est fou. Il faut savoir être fou, au point même d'être pervers, quand la rationalité enferme aussi bien qu’une prison.
Mais quelle dérision ! Que dire du prisonnier qui peindrait murs et barreaux, pour finalement s’esclaffer qu’une porte est ouverte ou bleue !? Satisfaction bien éphémère : la réalité reprend le dessus de toute façon, et personne n’est dupe. Le pouvoir de l’humour est piteux : la réalité s’efface le temps qu’on en rie, et revient tout aussitôt nous faire subir les affres du mortel encore et toujours soumis à l’ordre des choses. Ah ! rire ! ne pas savoir garder son sérieux devant “les choses graves” ! Regarder un dictateur comme un bouffon, le malheur comme une distraction, ne pas même comprendre que c’est face au non-sens, à l’absurdité de la vie même que nous rions !








Les choses qui prêtent à rire ne prêtent en fait à rien : on peut rire du ministre comme de l’enfant, de la mort, de la beauté, de la laideur... En rire, c’est en quelque sorte donner du sens à tout cela, tout en se rendant compte que n’importe quel sens pourrait valoir. Il ne s’agit pas de joie, tout au plus d’une jubilation : celle de sentir que nous avons une conscience si libre qu’elle peut décider de prendre n’importe quoi n’importe comment.
Si (et seulement si) on le prend bien, le pire n'est jamais décevant : soyons stoïciens, rappelons nous que ce ne sont jamais les événements qui importent, mais l'idée qu'on s'en fait. Faisons-nous un monde rigolo, et youpi, nous le trouvons alors irrésistible...

C’est le “bon sens” qui se tord quand on se tord de rire : les concepts droits et lisses éclatent, on leur donne des poils et des bosses, comme ça, pour rire, juste histoire de voir notre toute puissance face aux choses que l’on aurait pu croire si bien établies. Ah ! ça fait du bien ! Cette dernière arme face aux situations désarmantes montre à quel point le sens des choses est à la merci du regard que nous daignons leur accorder dans notre petit théâtre de guignol.

François Housset
www.philovive.fr









A ce propos :

Lisons :

  • André Breton : Anthologie de l’humour noir : lire au moins la préface se référant aux approches philosophiquement les plus approfondies du phénomène : celle de Hegel par exemple, qui voit apparaître l’humour lorsque la subjectivité “se laisse captiver” par l’objet extérieur. Le principe du plaisir triomphe sur les conditions défavorables, mais le sujet sait que sa victoire est illusoire : la “noirceur” de l’humour vient précisément de la conscience que garde son auteur de son insuffisance à résoudre la contradiction entre l’esprit et la réalité.
  • Freud : Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient : Un moi se défend de la douleur et refuse de se laisser toucher par les contradictions du monde extérieur : cela suppose l’existence d’un surmoi dont l’exaltation étouffe l’émotion du moi. Ce mécanisme tend à démentir la réalité et à sauvegarder le plaisir. L’humour n’a donc pas à expliquer, ni à convaincre, contrairement au mot d’esprit.



Citons :

Quand le réel est insoutenable on s’en défend comme on peut. Et le rire est une parade inouïe. Quand on rit on n’entend pas.
Alexandre Jardin, France Inter, 2 novembre 2012 (François Busnel, Le Grand Entretien).

“L’humoriste, comme le fauve, va toujours seul.”
KIERKEGAARD (qui a écrit aussi : “l’essence de l’ironie est de nier l’essence”), Journal 1834-1846

“J’estime la vie une chose trop importante pour en parler jamais de façon sérieuse.”
Oscar WILDE, L’éventail de Lady Windermere.

“Vous avez à apprendre à rire. Pour atteindre l’humour supérieur, cessez d’abord de vous prendre trop au sérieux ”
Hermann HESSE, Le Loup des steppes

“Le comique étant l’intuition de l’absurde, il me semble plus désespérant que le tragique”
Eugène IONESCO, Notes et contre-notes, L’auteur et ses problèmes

“Humour : pudeur, jeu d’esprit. C’est la propreté morale et quotidienne de l’esprit”
“L’humoriste, c’est un homme de bonne mauvaise humeur”
Jules RENARD, Journal.

“L’humour est une forme subtile de civilité. Le rire empêche les idées d’être au service de ceux qui tuent”
“L’humour s’acquiert dans les embûches de l’existence où, comme le prescrit Chamfort, “il faut que le cœur se brise ou se bronze”. Et il se bronze en se brisant, souvent ! Il faut s’être éprouvé soi-même en véritable samouraï des coups tordus pour acquérir l’art d’intervenir avec élégance dans le vif d’une situation.” / “Il faut avoir une capacité de tomber amoureux pour faire de l’humour ! L’ironie mord là où l’humour caresse.”
“L’humour exprime le drame de notre vie avec tout ce qui rend la vie habitable. Et la vertu la plus proche est la compassion, qui rend aussi les gens drôles. Un être frivole, c’est quelqu’un qui est lourd tout le temps, c’est un plouc. C’est la vulgarité barbare. Ce sont tous les garde-fous en soi qui s’abolissent et qui nous transforment en n’importe quoi... en nazi, en soudard serbe. C’est l’être humain qui devient lourd, qui tombe. C’est ce qu’il y a de plus moche. La barbarie est liée à l’absence d’humour.”
“L’humour est inséparable du sens critique.”
“La croyance ne rit pas.”
“Impertinent, l’humour renvoie aux puissants l’image de leur vanité.”
Patricia Vioux et Philippe Val, L’humour ou l’exercice même de la liberté, in Légèreté, Alice Chalanset, Autrement n°164.

"La première fonction de l'humour, la plus visible, consiste évidemment à rire et à faire rire, pour donner et obtenir du plaisir, distraire, divertir, amuser, détourner l'attention, libérant ainsi le Moi, ne serait-ce qu'un instant, des réalités pénibles. il favorise le relâchement du corps et de l'esprit. il libère une énergie positive et bénéfique, nécessaire à la décrispation de l'atmosphère et des relations. C'est d'ailleurs le motif pour lequel de plus en plus de conférenciers aux Etats-Unis, débutent leur exposé par a joke avant d'aborder les sujets "sérieux". Faire rire leur procure ainsi un certain ascendant sur le public, les faisant paraître sûrs d'eux et sympathiques.
Cependant, l'humour va bien au-delà de cette première fonction de relaxation, procurant gaieté et soulagement. Loin de se réduire à un luxe, il représente en réalité une nécessité impérieuse pour le fonctionnement psychologique, dans la mesure où il facilite l'expression de certaines craintes, tout en leur proposant une issue heureuse, un dénouement positif, impossible à trouver autrement, dune façon "sérieuse", c'est-à-dire policée et rationnelle.
Face à certaines réalités douloureuses, difficiles à modifier ou à maîtriser concrètement, il aide le sujet à changer de regard et à prendre de la distance, lui permettant ainsi de supporter l'insupportable."
Moussa Nabati, L'humour-thérapie, éditions Bernet-Danilo, 1997, p.15.







Le mot d’esprit (authentique !) :

Gide était excédé par Claudel :
“Claudel nous casse les pieds. Quel con !”
“Penses-tu ! lui répondit Valéry, il n’en a ni l’agrément ni la profondeur !”





Liens internes :



Liens externes :

Article "humour" de Wikipedia
Unes de Charlie Hebdo.











Commentaires

"Moi je connais un guignol qui a perdu le sens de l'humour..."
Guignolette

BRAVO.CET ARTICLE, JE VAIS LE METTRE EN LIEN CAR IL REJOINT MON ANALYSE DE CE QUI S'EST PASSÉ À CHARLIE.
psychanalyse-et-animaux.o...

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