Pourquoi faire un cadeau ?
Par François HOUSSET | Les Textes #102 | 1 commentaire | |
Décembre : le mois des guirlandes lumineuses, des vitrines animées et des ouvertures exceptionnelles... Bientôt Noël. Des cadeaux poussent partout, tout nous pousse à en faire. Pourquoi ?
Le sens “originaire” du cadeau a-t-il encore cours dans une réalité économique du “donnant-donnant” ? Ne s’agit-il jamais que d’échanges mercantiles ? Qui offre n’accomplit-il jamais que son devoir (de parent, d’ami, d’amant...) et qui reçoit ne se trouve-t-il endetté par ce qu’il a reçu ? Peut-on seulement rembourser la valeur du cadeau pour être quitte ?!
"Conférence gratouilleuse" dans le cadre du Festival des Utopies Concrètes (FUC) des enfants, le 24 avril 2014.
Pourquoi un cadeau ?
Par miracle : apporté nuitamment par un Père Noël discret, le cadeau se découvre comme surgi du néant. C’est pratique : grace à cette entité qu'on appelle le Père Noël, on n’a pas à remercier le généreux donateur, il n’y a qu’à se précipiter vers la cheminée ou le sapin. On comprend la joie des enfants, libérés de la contrainte de dire “merci” pour que mamie lâche enfin son “généreux” don. Dans la réalité ce cadeau a coûté au donateur... vous allez le payer !
Le cadeau, pour être un vrai cadeau, devrait tomber du ciel.
Inventons lui une origine latine (cadere, “tomber”). Un chat venu de nulle part s’installe dans votre maison : vous le recevez comme un cadeau du ciel, sans donateur à remercier. Voilà l’avantage du “vrai” cadeau (venu on ne sait d’où) sur le don.
Les dictionnaires, plus sérieux, font appel au chef (capdel), ce qui peut être capital : le donateur, c'est le chef:
Les cadeaux impliquent un retour à l’envoyeur -ne serait- qu'un "merci". On sait que le cadeau ne tombe pas du ciel, mais de la personne qui nous fait face avec un sourire entendu. Ce "merci" ne signifie pas “je me réjouis”, mais “tu me tiens !”
On se sait possédé. Les gages de reconnaissance rendent douteuse la véritable générosité : celui qui prétend donner sans calcul, sans réserve, sans attendre de retour, devrait refuser la gratitude de l’obligé. Or il se trouve que la gratitude non plus ne se refuse pas. Nous sommes redevables devant qui nous offre un cadeau. Nous voilà liés.
Soyons cyniques
Il faut être un peu cynique pour convenir qu’il est intéressant d’offrir... eh bien soyons le, et voyons ce qu'il nous en coûte !
Un cadeau ne se refuse pas -ou très difficilement, en déshonorant le donateur, ce qui est extrêmement grave. Offrir un cadeau n'est pas un acte anodin. C’est une mise en jeu (et même aux enchères) de la valeur de chacun. On a beau évoquer le “simple” plaisir d’offrir et la "véritable" joie de recevoir, l’offrande équivaut à la signature d’un pacte ! Le cadeau est un investissement : en l’acceptant vous signez un contrat léonin. Vous faites allégeance devant le donateur : vous êtes désormais son obligé. Qu'il soit ou non sympathique, vous lui souriez. Et vous espérez très fort que celui qui vous détient soit honnête. Il peut être vertueux et viser, par son offrande, le simple plaisir de vous faire plaisir. Il peut viser une amélioration des rapports qui font tout l’intérêt des relations humaines. Nous pouvons être humains, ensemble.
DR
Valeur du cadeau
L'acte d'offrir détermine sa propre valeur : l'enjeu est énorme.
Le donateur montre sa générosité, la fait apprécier par ce rituel du don.
“Voyez donc comme je veux bien faire ! Voyez ce que je vaux, comme je sais faire mon devoir de donateur !”
Le souci de l’autre est bien moral, mais au mauvais sens du mot : il s’agit de la sacrée morale forçant les bons sentiments, bridant les élans spontanés pour leur préférer l’application de principes. En s’appliquant à la suivre on s’écarte des élans généreux et spontanés ! Flagrante hypocrisie : ces prétendus élans du cœur se conjuguent à Noël ! La bonne conscience que voilà, réduite à des reconnaissances de dettes, venant au jour et à l’heure dits !
Il n'y a pas de générosité dans une morale du devoir. Tout se paie : il est anormal d’avoir quoi que ce soit pour rien. Honte à qui ne saurait s’acquitter, montrant ainsi sa valeur misérable.
Et honte sur nous qui, ce funeste soir de décembre, avons osé montrer du doigt le petit Papa Noël, et avons été assez vicieux pour déballer (ou plutôt arracher) les beaux sentiments dont il s’était emballé. Galopins que nous sommes, niant la pureté et la spontanéité de nos élans généreux ! Combien de mea culpa faudra-t-il pour faire oublier les protestations, les critiques, les argumentations visant nos actes les plus magnifiés ? Penser est périlleux : c’est souvent dire non, quand bien évidemment cela ne se fait pas. Oser penser le Père Noël comme un acheteur était sacrilège mais salutaire : l’idée est pertinente, nous savons désormais à qui et à quoi nous avons affaire.
Peut-on encore vous souhaiter un joyeux Noël ?
François Housset
DR
CITATIONS
“J’aime recevoir des lettres anonymes parce que je n’ai pas à répondre.”
Jean Dutourd dans Télé 7 jours, 1982.
“Les adultes ne peuvent faire plus beau cadeau aux enfants que de les oublier.”
Amélie Nothomb, Le sabotage amoureux
Toute générosité se paie, c’est même par là qu’elle vaut.
Natalie Clifford Barney Pensées d’une Amazone
Il y a des gens qui vous laissent tomber un pot de fleurs sur la tête d’un cinquième étage et qui vous disent : je vous offre des roses.
Victor Hugo. Tas de pierres
Le refus, c’est un don.
Hervé Bazin. Ce que je crois
Il n’y a pas sur la terre d’homme juste, qui fasse le bien sans jamais pécher.
Ecclesiaste, VII, 20
Les gens ont la rage de vous donner ce dont ils ont le plus besoin. C’est ce que j’appellerai l’insondable abîme de la générosité.
Oscar Wilde. Portrait de Dorian Gray
Depuis les civilisations primitives jusqu'à nos jours, on a toujours admis que le lit était pour la femme un « service» dont le mâle la remercie par des cadeaux ou en assurant son entretien: mais servir, c'est se donner un maître; il n'y a dans ce rapport aucune réciprocité. La structure du mariage comme aussi l'existence des prostituées en est la preuve: la femme se donne, I'homme la rémunère et la prend. Rien n'interdit au mâle de maîtriser, de prendre des créatures inférieures: les amours ancillaires ont toujours été tolérées, tandis que la bourgeoise qui se livre à un chauffeur, à un jardinier, est socialement dégradée.
Simone de Beauvoir. Le deuxième sexe.
Elle m’a expliqué... qu’une femme, de temps en temps, il fallait que ça s’achète un truc, une jupe, des chaussures, qu’il fallait que ça se fasse un petit cadeau, sinon ça s’étiolait, ça brillait plus et ça mourait.
Bertrand Blier, Beau-père (1981)
“La mère de Socrate était sage-fdemme. Socrate avait coutume de dire qu’il exerçait le même métier qu’elle : il pratiquait la maïeutique, ce qui veut dire l’art d’accoucher les âmes. Un tel art ne lui valut pas que des amis, puisqu’on le condamna à mort. La plupart des hommes ne veulent pas naître. Mais à celui qui le voulait, Socrate offrait le plus beau des cadeaux : celui de se découvrir autre que tout ce que les récits pourront jamais dire de lui; celui de se découvrir nu, dépouillé de toute phrase et vidé de tout mot, juste ouvert à la grâce, offert à la vie. Nouveau-né.”
Denis Marquet , Père, Albin Michel 2003, p. 141
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