Il y a de plus en plus d'incivilités.

Longtemps, j'ai charrié ceux qui manifestaient leur crainte des "sauvageons" et des "racailles". Dans une émissions, sur France Bleue l'animatrice m'a prévenu : "nos auditeurs sont assez... vieux : ne vous étonnez pas s'ils parlent d'insécurité à tout bout de champ". Ils ont dit leur peur des jeunes d'aujourd'hui, et, fripon que je suis, je leur ai répondu avec ironie : « c'était mieux avant, mon pauv' Monsieur, avec tous ces jeunes aujourd’hui, on ne peut plus sortir le soir sans qu’il fasse nuit ! »
J'ai eu tort. L'incivisme (et pas seulement les incivilités, j'expliquerai cette nuance plus loin) est en constante augmentation. J'ai envie d'ironiser encore : depuis combien d’années, de décennies, de siècles, note-t-on cette augmentation ? Aristote se plaignait déjà, il y a deux mille cinq cents ans, du déclin du civisme chez les jeunes qui viraient leurs parents de chez eux à coups de pied !
Je l'avoue entre nous, j'ai changé ma façon d'enseigner et d'animer des débats ces dernières années, pour me protéger. Je vieillis, peut-être : je crains les coups de pompe. Ou peut-être est-il effectivement plus difficile d'être citoyen aujourd'hui ?




On insulte et on agresse les représentants de la loi ou du "système", même ceux qui n'y sont pour rien : on "traite" le facteur, le prof, l'éducateur, l'animateur, le conducteur de bus… En tant qu'animateur de débats philosophiques, je me suis fait menacer et insulter ces dernières années, moi qui propose juste de parler. Je ne me souviens pas que cela me soit arrivé auparavant, et j'ai un quart de siècle de pratique.
Les temps changent, les mots aussi, dévalués : on ne peut plus parler de république tant les politiciens ont usé le mot. Ce qu'on appelle la « chose publique » n'intéresse plus des jeunes qui se prétendent « antisystème ». On vote moins, (voilà un fait objectif, mesurable), et l'on regarde la vie politique comme quelque chose de très lointain, un spectacle pitoyable, alors qu'autrefois on prétendait porter le monde, s'y investir totalement, le refaire encore et encore.

Demandons nous ce qu'est un citoyen, ce que signifie être citoyen.
D'après le Littré, le citoyen est celui "qui jouit du droit de cité". Il ne s’agit pas du droit d’être cité, mais du droit de faire partie de la Cité. Avec un grand C. Comme grand contrat social. Donnant droits et devoirs. Le citoyen peut voter, être élu, participer aux affaire publiques. Aristote disait déjà qu'il est « celui qui peut participer au pouvoir délibératif et judiciaire » (Politique, 1275b).
Être citoyen c'est donc participer activement à la vie d’une Cité, n'être ni un sujet attendant que le roi décide de son sort, ni le roi lui-même.

Trop d’ « enfants-rois » ne comprennent pas qu’un homme libre obéisse, et refusent toute autorité. Leur refus leur vaut la pire des peines : la marginalisation. J’ai vu un détenu se vanter d'être roi dans son monde : « moi dans ma cité je peux demander n'importe quoi, quand je veux, et je l'ai » disait-il; et de s'étonner qu'on ne lui propose aucun aménagement de peine, qu’on le transfere dès qu’il prend du pouvoir en détention...

Certains hommes n'ont pas droit de Cité. Quand on veut faire une belle présentation de la démocratie, on se réfère à la Cité modèle, Athènes, première démocratie directe où TOUS les citoyens votaient TOUTES les lois il y a vingt-cinq siècles. Tous les Athéniens n’étaient pas citoyens : femmes, marchands, travailleurs de toutes sortes, mineurs, esclaves, « barbares » et « métèques », c’est-à-dire étrangers, étaient exclus des droit de Cité. En France, il a fallu attendre la révolution pour que le terme citoyen remplace celui de bourgeois, puis soit étendu au pays dans son entier : on a alors parlé de citoyens de France -à ne pas confondre avec le peuple de France : cela n'impliquait pas, et cela n'implique toujours pas que le peuple dans son entier soit citoyen.




Exemple d'écriteau, datant de 1799, affiché dans les lieux publics pendant la Révolution française.



En France seuls les bourgeois furent citoyens, puis seulement les hommes, car jusqu’à il y a un demi siècle les femmes ne votaient pas. Malgré la Déclaration Universelle des droits de l’Homme qui proclamait depuis 1789 que les hommes étaient égaux, donc tous autant citoyens quels que soit leur sexe, leur âge etc. Les étranger non plus : on ne les nomme plus "métèques" ni "barbares", ils peuvent vivre dans la cité, y travailler des dizaines d’années, s’investir au sein d’associations très utiles à la communauté, et accomplir scrupuleusement leurs devoirs de contribuables, ils n’en seront pas pour autant des citoyens à part entière car on leur refusera le droit de vote, pour ne parler que de lui.



Il ne suffit donc pas d'habiter la cité pour être un vrai citoyen. Il y a de nombreux cas où le contrat est rompu. Celui qui refuse de plier devant la volonté générale s'exclut lui-même de la société. De nombreuses peines pénales sont assorties d’une privation des droits politiques. On accuse la justice de priver ces hommes de leurs droits de citoyens, de les "châtrer de leurs droits civiqus", selon Mesrine, mais il convient de rappeler qu'ils ont eux-mêmes rompu le contrat social : c'est leur acte criminel qui les a exclus de la Cité. Le contrat social ne va pas de soi, et comme tout contrat il est rompu dès qu'il n'est plus respecté.





L'homme qui franchit les portes d'une prison
En reste marqué à vie, quoi qu'il fasse
Sur le chemin de la réinsertion sociale
La société est vindicative
Un ex-condamné ne sera jamais quitte de sa dette
Même après l'avoir payée car on lui refusera le droit de vote
Mais il paiera ses impôts et sera mobilisé
Si une guerre se produit
Châtré de ses droits civiques, il restera un ex-taulard
L'homme à qui on refuse le droit de décision
N'est qu'une moitié d'homme
Il se soumettra ou se révoltera.
TRUST, Sors tes griffes.



Il y a aussi des cas où le contrat social n’est même pas signé : les "fous" et les handicapés mentaux ne sont pas reconnus comme citoyens à part entière. Ils sont sous tutelle, on répond d’eux. Les structures sociales qui les prennent en charge sont bien dans la Cité mais cela n’en fait pas des citoyens. J'ai animé un débat sur la liberté dans un centre de soin pour malades d’Alzheimer : au nom de la dignité des malades, un participant a proposé au directeur d’afficher la Déclaration des Droits de l’Homme dans l’entrée. Le directeur a du refuser : on ne peut afficher des droits qu'on renie, prétendre par exemple que les hommes disposent d’une inaliénable liberté de circulation, quand on ferme toutes les portes à clef pour ne pas voir s’échapper un malade.



Venons en enfin à nos enfants -qui ne sont pas nos enfants…
Les enfants non plus ne jouissent pas du droit d’être citoyen à part entière, faute d’être (encore) capables de faire de la politique dans la cité. Aujourd'hui un mineur ne peut être considéré comme un citoyen, il n'a pas le droit de vote, il a des tuteurs qui répondent pour lui, qui l'orientent, qui le cadrent. Les mineurs ne sont pas des citoyens, quand bien même notre déclaration prétendument universelle, annonce depuis 1789 que les hommes, TOUS les hommes, naissent et demeurent libres et égaux en droits.
La situation des mineurs est paradoxale : ces êtres humains vont devenir majeurs, donc libres. Leur citoyenneté n'est encore que potentielle. Ils peuvent considérer cela comme une véritable humiliation. Une mutilation : Beauvoir disait qu’un enfant est un « handicapé d’humanité ». Ils ne sont pas citoyens. Mais ils vont l’être. Dans le futur. Un futur qui, pour les ados en crise, n'existe pas. Pour nous le futur est leur futur, celui qu’on leur accordera, qu'on leur accorde déjà en les préparant à exercer… des droits qu’on leur interdit d’exercer !?
Lorsque j'étais collégien, un prof de gym tapait des élèves, cela me mettait en rage. J’ai proposé de faire grève. Un pion m’a expliqué que je n’en avais pas le droit : il faut être majeur pour revendiquer des droits ! Combien enragent d’être réduits à l’impuissance par des maître qui sont avant tout des censeurs !?
Certains n’auront pas le droit d’être citoyens, et ne voudront même pas de ce droit -encore moins de ces devoirs. Les adultes restent perplexes devant ce refus : comment ?! Au nom de quelle prétention refuseraient-ils la liberté qu'on leur donne ? Il crient « nique la police » (pardon pour cette vulgarité, j’avais d’abord écrit « à bas la société », mais ça n’est pas du tout leur vocabulaire. « Nique la police », donc, c’est-à-dire « nique la Cité », « fuck le système ». Ils ne veulent pas y entrer. Alors on va les mettre où ? C'est là que vous êtes condamnés, que NOUS sommes condamnés, à être intelligents et à avoir beaucoup d'humour !






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Car refuser d'être citoyen, c'est refuser d'exister. Un homme n'a nulle part où aller sinon dans la Cité : Aristote résumait ce fait en disant que l'homme est un "animal politique".

Pour expliquer ce qu'est un citoyen il faut définir la cité : aujourd'hui, quand on parle d’une cité on désigne une zone de non-droit. J’ai vécu dans une cité, à Montreuil, en banlieue Est de Paris : une série d’immeubles immenses, sans une rue qui les sépare. Un labyrinthe de chemins improbables dans lequel aucun policier ne s’aventurait. Voilà ce que le mot « cité » m'évoquait et m’évoque toujours : un lieu ou des bandes s’affrontent, où l'on peut se faire dépouiller par le premier venu, et où des dealers font leur commerce : ils sont chez eux, retirés du monde et de ses lois. Les médias en parlent comme sil s’agissait d’une jungle infestée de fauves. Ils désignent à chaque fois des quartiers de banlieue. Et il faut bien connaître les mots pour ne pas s'y tromper : le mot « banlieue » signifie « banni du lieu » . Les banlieusards sont ceux qui ont été refoulés par la ville. Ils ne sont pas des citadins. Beaucoup ne se considèrent pas comme des citoyens. J’ai animé des débats sur le respect dans des villes où il n’y avait plus que des cités abandonnées. Par exemple à Clichy sous bois, en 2005. Deux adolescents étaient morts électrocutés dans un transformateur où, poursuivis par la police, ils s’étaient réfugiés. Puis toute la banlieue s'est enflammée. Il n’y avait plus de commissariat à Clichy : brûlé (il ne rouvrira que cinq ans plus tard). Plus de poste non plus. Plus de bus. Plus rien qui permette de penser qu’on était dans une communauté politique, à part des collèges et des lycées, qui étaient les derniers remparts de la république –et qui ont tenu vaille que vaille. Une cité, dans le langage courant, c’est un ghetto.




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En philosophie, la Cité va bien, merci : elle est restée au pays des Bisounours. Quand on parle de Cité, avec un C majuscule, on parle d'une communauté politique constituée de gens bons. On fait d’emblée de la belle politique. D'ailleurs le mot "politique" vient du grec « polis » signifiant « cité ». Aristote définit la Cité comme un ensemble de foyers en inter-relations. Il savait déjà qu'un foyer ça n'était pas seulement "un papa et une maman" comme le prétendent les homophobes : la Cité est la mise en relation de travailleurs pourvoyant ensemble à tous les besoins de tous, ce qu'un homme et une femme ne peuvent accomplir seuls. Pas de foyer sans Cité. La Cité est donc la plus plus belle forme de communauté humaine. Elle offre sa protection, son économie, ses loisirs, pour que tous les citoyens puissent s’y épanouir en bonne intelligence. Elle leur garantit la seule liberté qui vaille, la liberté politique. Car selon Aristote, cet «animal politique » qu'est l'homme n’aurait rien à faire dans la nature, il n’y a que dans la Cité qu’il peut non seulement vivre, mais surtout bien vivre, indépendamment de tout pouvoir.



L’ado ne connaît rien de cette cité idéale, il croit qu'être libre signifie ne dépendre de rien ni de personne : être son propre maître, ce qu'il a l'impression de devenir quand il met le feu à la cité. Il voudrait se libérer en soumettant les autres, il prétend faire plier le monde pour gagner sa liberté. Mais si c'était le cas on ne serait pas en démocratie. Il faut obéir pour être citoyen, obéir aux lois qu’on se donne, c’est être libre. Le maître, le vrai, c'est le peuple, pas l'individu qui prétendrait faire sa loi. Aucune volonté singulière ne peut régner quand c'est le peuple qui exerce le pouvoir. Rousseau explique qu'une bonne loi contraint tout citoyen. Au nom de la liberté politique, aucun citoyen n'échappe à la loi. Celui qui le refuse doit entendre raison, il faut lui faire admettre malgré lui, que nul n'est censé ignorer la loi.







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Le citoyen doit, pour être citoyen, conclure un pacte social avec l'ensemble de ces concitoyens. Difficile de dire à l’ado répètant « fuck le système », qu’il doit se plier volontairement devant l’ordre social. On le pliera donc, sans qu’il comprenne pourquoi. Il doit signer ce contrat le soumettant au « système »... pour pouvoir être libre !



C'est en ce sens que Rousseau réclame la contrainte, pour le bien de celui qui n'est pas encore libre : il faut le forcer à être libre, dit-il, le faire rentrer dans le moule de la normalité... normaliser dans un milieu anormal -oui, on le peut.



On le peut et on le doit. Même si notre devoir semble incompréhensible, inacceptable, pour l'usager perplexe.



Eduquer, c'est inscrire dans un projet, transformer, changer... Sacrée responsabilité que vous avez, que nous avons ! Lourde tâche ! Si lourde que certains hésitent à l'assumer : on prétend facilement n'avoir aucun pouvoir, juste accompagner l'autre, "l'usager", sans le contraindre. Mais la cité réclame des citoyens : on cadre, on interdit, on oblige, on dirige vers ce que la cité juge "bon". Cela paraît violent. Paradoxalement, cette fermeté est nécessaire à la liberté même. "Je ne vis pas dans l'infini, parce que dans l'infini on n'est pas chez soi." dit Bachelard : on a beau dénoncer l'emprise, (je le fais régulièrement en animant des débats pour la déradicalisation), un travailleur social a une fonction de gourou, il doit oser exercer une emprise sur les usagers, qui en ont besoin. Ils ont besoin de voir quelles sont les limites ; nous-mêmes nous avons besoin d'être cadrés. Être libre, cela n'est pas vivre sans contraintes, mais faire avec.. Toute liberté s'inscrit dans le cadre de la Cité, qui la rend possible.



L'usager est CONTRAINT à répondre à nos demandes. Il y répond parce qu'on l'y contraint. Osons reconnaître avec Rousseau qu'il s'agit de le libérer de lui-même. Il est pétri de pulsions, de passions, il veut être le roi de la cité, il voudrait maîtriser, posséder le monde, mais il ne se possède pas, il ne maîtrise pas son corps, et ne se suppose libre que quand il satisfait des désirs dont il est esclave. Kant ose même comparer l'enfant à un animal : il faut l'arracher à son animalité, par la discipline, un dressage qui "brise la volonté particulière". On ne peut pas faire l'économie de cette contrainte (attention, cela n'a rien d'un châtiment ! Le but n'est pas de lui faire mal). Pourtant, un animal dressé n'est pas un homme libre : être délivré des passions n'implique pas d'être éduqué. Il reste encore à se gouverner soi-même. Un homme dompté est une pure machine s’il ne prend pas en main son propre destin. Nous sommes donc amenés à nous poser ce que Kant appelle "un des plus grands problèmes de l'éducation" : "Comment unir la soumission sous la contrainte avec la faculté de se servir de sa liberté ?" Comment amener un esclave au milieu de la cité, lui enlever ses chaînes et oser lui dire « tu es libre » !?
Comment, sous la direction d'un autre, peut-on apprendre à se gouverner soi-même ? Car la contrainte est nécessaire, mais COMMENT cultiver la liberté sous la contrainte ?



Civisme et civilité

L'éducation civique est une aubaine, hélas vue par pas mal d’élèves, mais aussi de profs, comme un endoctrinement, un programme de plus, dont on gaverait de pauvres être fragiles mis sous notre influence maléfique. Le civisme est une belle chose, André Comte-Sponville le définit comme la vertu du citoyen, permettant la vie en communauté. Sans civisme, pas de Cité, pas de citoyen. Quand l'éducation n'est qu'un dressage, il ne s'agit pas de civisme, mais de civilité, dans le meilleur des cas : la civilité est la politesse, utile dans les rapports interindividuel. « Traiter » quelqu'un, c'est faire preuve d'incivilité (dans le vocabulaire ado, « traiter » c’est maltraiter, insulter). Voyager sans ticket, c'est faire preuve d'incivisme. Inversement, dire bonjour au chauffeur c'est faire preuve de civilité, et payer les transports en commun, même quand on ne les utilise pas, c'est faire preuve de civisme. On voudrait que les hommes fassent spontanément preuve de civisme, mais la bonne volonté n'est pas toujours spontanée. C'est pourquoi le dressage est nécessaire : si on n'est pas gentil il faut au moins être poli, agir enfaisant semblant de respecter, de s'intéresser, d'aimer même. C'est ainsi que les enfants ont une chance de devenir vraiment vertueux, dit André Comte-Sponville : en imitant les vertus qu'ils n'ont pas encore, ils font ce que font la plupart des citoyens -osons le dire, les citoyens sont assez hypocrites : ils respectent les lois par peur du gendarme plutot que par civisme. Leur civilité les rend acceptables. Peu vertueux, ils restent supportables en restant polis.
C'est encore grace à André Comte-Sponville, loué soit son nom, que je découvre que le mot politesse ne vient pas du grec « polis », comme j'e l'ai enseigné trop longtemps -je dois dire à ma décharge que j'avais trouvé cette prétendue étymologie dans un manuel de philosophie) mais du latin « politus » (« lisse, propre, ce qu'on a pris le temps de polir") : c'est l'art de se frotter les uns aux autres jusqu'à arrondir ses angles. Art d’être hypocrite, oui. Nous savons tous à quoi nous en tenir. On ne s'en passera pas : sans cet art, impossible de faire partie de la Cité..



Un homme privé d'éducation ne sait pas se servir de sa liberté. L'éducateur qui n'use pas de contrainte n'éduque pas son élève, il l'empêche de devenir libre. On peut le condamner pour non assistance à personne fragile et en grand danger de désintégration. Immense difficulté de l'éducation : pour éduquer l'ado, pour l'émanciper, le conduire à vivre lui-même sa vie de citoyen, il faut reconnaître qu'il n'est pas encore libre, qu'il faut exercer sur lui un travail, le protéger des autres et de lui-même. C'est là que l'éducation paraît violente : on ne voit plus l'élève tel qu'il est, mais comme il doit devenir. Le voilà défini par ses manques. Parce qu'il est défait, il dépend de celui qui le forme, main-tenant. Il est ce qu'on fait de lui. Nous avons tous été sculptés. Et nous pouvons être reconnaissants envers ceux qui nous ont formés, informés. Être pétri par des artisans soucieux de faire de la belle ouvrage, quelle joie ! Un élève veut qu'on l'élève, avoir un cadre. Qui le contienne. Jusqu'à ce que l'élève dépasse le maître, voire le tue -symboliquement. C'est le but. Le but de l'éducation est la disparition de la tutelle. Il est nécessaire que le maître devienne superflu. Encore faut-il qu'il y en ait eu un. Il faut avoir obéi pour commander, ne serait-ce qu'à soi-même.



La liberté n'est pas un statut mais un processus de libération... par le travail dans la Cité. Encore une soumission paradoxale : il faut obéir pour commander. Solon le disait déjà : "tu commanderas quand tu sauras obéir". Obéir, c'est "bien" : le bien, la morale, supposent une responsabilité, une capacité à choisir le bien plutôt que le mal. Et non de suivre ses pulsions : "un homme ça se retient" dit Camus. L'éducation transforme l’animal en citoyen.



© François Housset

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Liens :



La morale aujourd’hui

A qui appartient la ville ?

Permettre à l’Autre d’être là !

CAFÉ PHILO ET CITOYENNETÉ

Débats aux sommets... des montagnes

Déontologie de l'éducateur

L’homme est un mouton pour l’homme

L’ABUS DE POUVOIR





















Citations



“Faire de la politique, c’est ne plus subir le monde.”
Marguerite Duras.

“...Si vous êtes moral vous obéissez à la société. Si vous êtes immoral vous vous révoltez contre elle mais sur son terrain, où l’on est sûr d’être battu. Il faut être ni l’un ni l’autre : au-dessus.”
Sartre. Lettre à Simone Jolivet, 1926.

“En premier lieu, il est difficile en effet de reconnaître la nécessité, pour un art politique vrai, de se préoccuper, non pas de l’intérêt individuel, mais de l’intérêt commun, car l’intérêt commun fait la cohésion des États, tandis que l’intérêt individuel les désagrège brutalement ; difficile en outre de reconnaître que l’avantage, à la fois de l’intérêt commun et de l’intérêt individuel, de tous les deux ensemble, est que l’on mette en belle condition ce qui est d’intérêt commun, plutôt que ce qui est d’intérêt individuel.”
Platon, Les Lois, livre IX (Pléiade, t.II, pp. 989-991)

"Je ne vis pas dans l'infini, parce que dans l'infini on n'est pas chez soi. »
Bachelard, L'Intuition de l'instant, Gonthier- Médiations, 1973, cité sur la couverture.

“Nul ne peut être parfaitement libre aussi longtemps que tous ne le sont pas ; ni parfaitement moral, tant que chacun ne l'est pas ; ni parfaitement heureux jusqu'à ce que chacun le soit. De prétendus sages au ton sentencieux nous annoncent que la vertu doit être l’unique objet de nos désirs, qu’affermi par elle on supporte sans peine les privations et la misère. Inutiles moralistes ! croirai-je à des principes que l’expérience dément tous les jours ? La vertu est le seul bien, le vice est le seul mal, disent les stoïciens. Ce principe est faux : je m’en rapporte à tout honnête homme qui s’est cassé la jambe, ou qui voit souffrir la faim à ses enfants.”
H. Spencer, La Statistique sociale, 1, 2.

“Ceux qui voudront traiter séparément la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucun des deux.”
Rousseau. L’Émile. Livre IV, § IV.

"L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté"
Rousseau, Le contrat social, "De l'état civil" (I, 8)