“Suis-je la mère de mes enfants ?”
Par François HOUSSET | Les Textes #91 | 2 commentaires | |
On n’est pas mère parce qu’on a fait naître : on le devient, en adoptant ses propres enfants. Accoucher ne suffit pas : il faut encore assumer un rôle tout autre que celui de génitrice. Et ce rôle n’est pas seulement différent, il est aussi contradictoire : l’enfant n’est plus “la chair de ma chair”, “le fruit de mes entrailles”... mais une personne à part entière, un autre humain, déjà mystérieux, presque étranger, inconnu surgissant là où il n’était pas attendu. “Mais qui m’a donné cet enfant ?”
Le détachement de la “bonne mère” capable de dire “mes enfants ne sont pas mes enfants” s’oppose à une réalité de fait : l’enfant est “handicapé d’humanité” tant qu’il n’a pas acquis les capacités rationnelles, psychologiques et physiques lui donnant enfin assez d’autonomie pour être responsable -et respecté. En attendant, ne faut-il pas, en bonne mère, se soucier de lui qui ne sait pas se soucier de lui-même avec assez de réalisme ? S’accorder le droit -le devoir même- d’être la mère abusive prenant la place de son enfant pour choisir ce qui doit lui convenir comme s’il n’avait pas d’avis ? La mère assume pour l’enfant, comme s’il était une partie d’elle. A-t-elle le choix ? Pourrait-elle faire autrement ? Bien sûr : elle est libre, c’est elle qui affirme que ce bambin est le sien ; elle peut tout autant démissionner, ne pas se reconnaître mère, et son enfant n’est plus le sien, mais l’enfant de tous, ou de celle qui le récupérera.
À ce stade du débat (assez chaud !), nous nous sommes donné le temps de défricher, dans la jungle des imbroglio familiaux, trois concepts : la génitrice, la mère et la maman. Par génitrice, nous avons entendu la matrice, porteuse ; par mère celle dont la “fonction” consiste à s’occuper de l’enfant (le laver, l’habiller, le nourrir...) ; par maman la femme offrant comme en cadeau une vie affective. Ce partage était quelque peu grossier (il enlevait par exemple à la mère son amour), mais nous a permis une fois pour toutes de ne pas avancer en malentendants.
L’aspect purement biologique de la mère étant évacué, nous nous rendîmes compte (oh ! surprise feinte !) qu’il n’était pas nécessaire de faire des bébés pour avoir des enfants. Il est possible de chérir l’enfant dont on n’est pas génitrice, au point de le considérer comme son enfant (et il dit bientôt “maman”) ; il n’est même pas nécessaire que l’enfant soit un enfant : on peut adopter un adulte. Les religieuses le savent bien qui, à défaut de coucher et d’accoucher, se font appeler mères, à proprement parler puisqu’elles sont mères de tous les quidams dont elles se soucient leur vie durant. Enfin les femmes qui accouchent “sous X” sont génitrices sans avoir d’enfant, ce qui montre que génitrice et mère ne s’impliquent pas...
C’était aller un peu vite : au niveau logique, nous avons su débroussailler des types idéaux, mais rien ne va de soi. Pour revenir à l’exemple des femmes accouchant “sous X”, la séparation entre la femme et son enfant est tout de même vécue comme un arrachement, aussi volontaire soit-il. Et la morale vient complexifier le problème, avec sa compagne la mauvaise conscience : ces lâcheuses seront responsables de l’éternel sentiment d’être déraciné, que l’enfant se trimbalera sa vie durant -voire transmettra à ses enfants ! La responsabilité de la génitrice vient donc, en dernière analyse, se confondre avec celle de la mère : être génitrice, c’est presque devoir être mère. Et voilà un devoir, des ordres donnés à la femme enceinte : volontairement ou pas, elle devra assumer, prendre en charge le devenir de l’être quelle aura mis au monde. Mission fabuleuse et terrible à la fois. Être mère : un destin.
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“Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de la Vie qui a soif de vivre encore et encore. Ils voient le jour à travers vous mais non à partir de vous. Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne sont pas à vous. Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées. Car ils ont leurs propres pensées... Vous êtes les arcs par lesquels sont projetés vos enfants comme des flèche vivantes. L’Archer prend pour ligne de mire le chemin de l’infini et vous tend de toute Sa puissance pour que Ses flêches s’élancent avec vélocité et à perte de vue. Et lorsque Sa main vous ploie, que ce soit alors pour la plus grande joie. Car de même qu’Il aime la flèche qui fend l’air, Il aime l’arc qui ne tremble pas.” Khalil Gibran, Le prophète.
L’enfant voit tout en nouveauté; il est toujours ivre. Rien ne ressemble plus à ce qu’on appelle l’inspiration, que la joie avec laquelle l’enfant absorbe la forme et la couleur. Beaudelaire, Le peintre de la vie moderne
“Qu’est-ce qu’un adulte? Un enfant gonflé d’âge.” Simone de Beauvoirr. La femme rompue.
“Non seulement les adultes brimaient ma volonté, mais je me sentais la proie de leurs consciences. Celles-ci jouaient parfois le rôle d’un aimable miroir; elles avaient aussi le pouvoir de me jeter des sorts; elles me changeaient en bête, en chose. “Comme elle a de beaux mollets cette petite!” dit une dame qui se pencha pour me palper.” “Je me suis demandé soudain: “Comment me voit-elle?” et j’éprouvai un sentiment aigu de supériorité: car je connaissais mon for intérieur, et elle l’ignorait; trompée par les apparences, elle ne se doutait pas, voyant mon corps inachevé, qu’au-dedans de moi rien ne manquait; je me promis, lorsque je serai grande, de ne pas oublier qu’on est à cinq ans un individu complet.” Simone de Beauvoir. Mémoires d’une jeune fille rangée.
“La magie du regard adulte est capricieuse; I'enfant prétend être invisible, ses parents entrent dans le jeu, ils le cherchent à tâtons, ils rient et puis brusquement ils déclarent : « Tu nous ennuies, tu n'es pas invisible du tout. Une phrase de l'enfant a amusé, il la répète: cette fois, on hausse les épaules. Dans ce monde aussi incertain, aussi imprévisible que l'univers de Kafka, on trébuche à chaque pas. C'est pourquoi tant d'enfants ont peur de grandir; ils se désespèrent si leurs parents cessent de les prendre sur leurs genoux, de les admettre dans leur lit: à travers la frustration physique ils éprouvent de plus en plus cruellement le délaissement dont l'être humain ne prend jamais conscience qu'avec angoisse.” Simone de Beauvoir, Le Deuxieme sexe
“La minorité ne maintient pas lenfant dans le non-droit. Elle signifie que s’il est titulaire de droits des la naissance, il ne saurait être sommé de les exercer immédiatement lui-même et désigne a priori ses parents comme ceux qui ont le pouvoir et le devoir de veiller au respect de ses droits fondamentaux.” Dictionaire d’éthique, dir Monique Canto-Sperber, PUF
“Ce qu’on déclare, ce sont les droit de l’homme et du citoyen. Par citoyens, nous devons entendre toutes les personnes engagées dans un Corps politique; mais par hommes, en tant que distingués des citoyens, que devons nous entendre? (...) ceux qui sont encore dans l’état de nature (...), qui ne peuvent avoir aucune aucune connaissance de cette déclaration faite pour eux.” BENTHAM. Sophismes anarchiques, in Tactique des assemblées, t.II.
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