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“Notre époque est-elle éphémère ?”

Compte-rendu du dernier débat que j'ai animé avant l’an 2000, dont l'approche sonnait comme un an Zéro. Débat difficile : des sueurs froides coulaient des tempes. Je me souviens que de nombreux participants (nous étions à la médiathèque d'Issy-les-Moulineaux) tremblaient en pensant qu'il y aurait une catastrophe technologique (le fameux "beugue de l'an 2000", qui coûta des centaines de milliards, au profit de Microsoft). Il n'y eût qu'une tempête ravageant "seulement" notre biotope.
Ce débat historique rend hommage à la crainte qui revient périodiquement : la fin du monde est proche, vive la fin du monde ! Après moi le déluge ! Avant moi aussi d'ailleurs. Éloge au je-m'en-foutisme, autorisé par la religion, au nom de la sacro-sainte trouille d'être responsable !



Parvenus au seuil de l’an 2000, date mythique longtemps synonyme de futur et qui sera désormais notre présent, nous vivons la fin d’une époque : celle où l’on aura écrit sur du papier, compté en Francs, fait l’Europe... Fin d’une époque, celle du vingtième siècle ; fin ordinaire : tant d’autres sont déjà révolues ! Les temps défilent. De fait, il n’est plus possible d’avancer simplement le regard fixé sur le futur, ni de s’en moquer en se disant “après moi le déluge” : ce temps aussi est révolu. On ne se contente plus d’évoquer l’ici et maintenant inconséquent, ni de parler écologie, en posant le problème du sacrifice des générations futures sur l’autel de notre ego... non. Plusieurs déluges ont déjà eu lieu, et il est temps de dire “AVANT moi le déluge”. Les déluges ont défilé, et nous savons notre époque éphémère.
Chaque déluge a tout ravagé, comme il se doit, et obligé chacun à tourner la page. Adieu vache, cochon... les générations précédentes et leurs œuvres noyées, qui nous léguaient des devoirs et nous laissaient si peu de droits. Héritiers, redevables, nous avions une mission, devions ajouter notre pierre à leur édifice construit de génération en génération. Cet édifice ne nous appartenait pas. Il eut été difficile de le détruire, c’eût été sacrilège ; il eût fallu en faire des révolutions, et en arracher des racines ! L’eau qui coule sous les ponts s’en est chargé. Merci, ô déluges, qui laissent une table rase sans que nous ayons à nous salir les mains : tout est à faire enfin, puisque que tout s’en va. Il fallait du neuf, n’en fut-il point au monde : voilà un nouveau monde. En cet an zéro, témoignons, ô mes frères, de notre reconnaissance envers Noé, premier ancêtre à avoir pratiqué la fuite en avant. Carpe Diem : les Anciens sont sous l’eau ou la poussière, ils n’ont plus leur mot à dire. Après et avant moi, le déluge : j’ai tous les droits, enfin ma vie nouvelle m’appartient, et sans épée de Damoclès - quoi qu’il arrive après ma mort je m’inquiète peu, la mort (comme le déluge) blanchit toutes mes bêtises ou mes lâchetés. Une fois passé “de l’autre coté”, je n’ai plus rien à craindre. Si l’on en croit les Écritures, l’humanité s’est bien sortie du déluge ! Donc : le déluge n’est pas si grave ! Tout passe de toute façon : vivons selon notre bon plaisir !

N’est-ce pas cela, la liberté ? Ne plus avoir d’attaches, de modèles, tout changer... ? Rien ne reste. Des civilisations ont disparu, et d’autres ont pu naître, n’ayant pas à continuer quelque entreprise avec ses chemins déjà tracés. L’histoire s’écrit en pointillés. De quoi rabattre le caquet des moralistes : même les morales repartent à zéro. Tout fondement, tout principe, n’ont qu’un temps. Ne prétendons plus construire un futur meilleur, ni même un futur tout court : pas le temps. Indéterminable, le futur n’existe pas. De nouveaux déluges se préparent, qui obligent à viser court.

Ne nous conduisons pas en petits joueurs réparant quelques restes : recréons ce monde à nos mesures. Nous avons beau jeu de prétendre faire table rase, si nous nous gardons toujours un minimum de déterminations. Qui n’a qu’un chemin le suit nécessairement, mais qui n’a plus aucun chemin va-t-il quelque part ? Ne nous donnons pas le temps d’y penser : nous ne reviendrons plus sur nos pas. Rien de tel que la fin des temps pour vous changer les idées. Mais rien de plus terrible. Les Écritures donnent deux indices qui font froid dans le dos : d’abord, le déluge passé, Noé lâche une colombe de son bateau, qui revient avec un rameau d’olivier dans le bec. Enfin il y a une terre quelque part ! Cette colombe symbolisera la paix - piteux symbole si la paix est supposée suivre pareille hécatombe. Deuxième indice : pour fêter le renouveau, Noé offre joyeusement une holocauste à son Seigneur, sacrifiant des animaux qu’il préservait pourtant de sa colère, histoire de bien commencer cette nouvelle ère : chassez le naturel... Dieu est content -mais qu’y a-t-il à espérer de ce Père noyant ses gosses ? Et de nous-mêmes, brebis égarées bêlant pour avoir un berger, qui n’éprouvons pourtant notre liberté qu’en détruisant les cadres dans lesquelles elle s’inscrit ? Après le déicide, viennent les génocides, puis nous nous attaquons enfin à notre biosphère. Détruire, détruire toujours... Pour en finir, nous créons notre enfer : de rares survivants y régneront plus à loisir. Ce prétendu salut n’est qu’une condamnation.

On ne peut que faire avec nos fatras de déterminismes : apprendre à vivre le présent dans ce monde plutôt que chercher le neuf. Nous sommes enclavés entre les générations précédentes dont nous sommes héritiers, et des générations futures, dont nous sommes responsables. Et c’est heureux : nous avons besoin de ces déterminations continuelles.

Voilà pourquoi les Shadoks pompent encore et toujours.

François Housset
www.philovive.fr






Citations

“Une conscience qui ne conserverait rien de son passé s’oublierait sans cesse elle-même”
BERGSON, L’Énergie spirituelle

“Ce qui distingue les socialistes de ce temps, c’est qu’ils sont historiens : “Après une société, une autre société ; après une machine, une autre machine ; après une justice, une autre justice.” Aussi se moquent-ils des radicaux, qui croient à une justice de tous les temps, qu’il faut planter et arroser où l’on se trouve. Or ces historiens supérieurs m’écrasent aisément par leur science ; mais ils ne me feront point compter sur un progrès qui ferait un pas après l’autre (...) Je vois un progrès qui se fait et se défait d’instant en instant, qui se fait par l’individu pensant ; qui se défait par le citoyen bêlant. La barbarie nous suit comme notre ombre. (...) Il n’est pas vrai qu’après Beethoven on fera mieux que lui, ni qu’il ait fait mieux que Mozart.”
Alain, Propos sur les Pouvoirs, n° 130.

"Pour établir quelque chose de durable, il faut une base fixe. L'avenir nous tourmente et le passé nous retient. Voilà pourquoi le présent nous échappe."
Flaubert, Correspondance

“La persistance en moi d’une velléité ancienne de travailler, de réparer le temps perdu... me donnait l’illusion que j’étais toujours aussi jeune.”
Marcel Proust À l’ombre des jeunes filles en fleur

"Le temps ne fait rien à l'affaire"
Molière Le Misanthrope, I, 2

“La seule utilité immédiate de toutes les sciences est de nous enseigner comment nous pouvons contrôler et régler les événements futurs par leurs causes.”
Hume. Enquête sur l’entendement humain, Section VII, “L’idée de connexion nécessaire”, 2è partie.

«On pourrait calculer la conduite future d’un homme avec autant de certitude qu’une éclipse de lune ou de soleil et cependant soutenir en même temps que l’homme est libre.»
Kant, Critique de la Raison pratique

“Je passe le plus clair de mon temps à l’obscurcir, parce que la lumière me gène”
Boris Vian, L’Herbe rouge






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Liens internes









Liens externes

(notés en l'an 2000 -et je n'ai pas le temps de les vérifier : merci de me prévenir si certains sont devenus caduques !)
-L’entreprise face à la compression du temps : www.litis.fr/séminaires/seminaire.htm
-Le Carpe Diem est-il d’actualité ? Participez au débat virtuel http ://im.edfgdf.fr/im/forum2/liste.htm
- Le temps de l'incertitude (application de la théorie du chaos et de la complexité à la gestion des organisations en changement et en contexte d'incertitude. members.tripod.com/~marcaurele/
-Jules Vernes : la journée d’un journaliste américain en 2890
http ://www.alienor.fr/~ffeghali/e-lib/journee_journaliste_amer.html
-Etienne Klein : Le temps de la physique :
perso.club-internet.fr/nicol/ciret/bulletin/b12/b12c5.htm
-Tout sur le 3è millénaire : http ://www.geocities.com/Paris/Tower/4511/ephemeride.html#2000
-Histoire de la mesure du temps : members.aol.com/lagardesse/
-”Sous les pavés, enfin la plage” : textes fondamentaux sur ce présent qui passe http ://www.multimania.com/laplage/
-Si le temps m’était compté / pour en finir avec l’an 2000 http ://artic.ac-besancon.fr/Action_Culturelle/ac7.htm




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