La danse est la mise en action du corps humain, une gesticulation. Même si l’aérobic n’est plus tout à fait une danse, il ne s’agit pas de culturisme, d’éducation physique. On ne danse pas pour donner de l’exercice au corps, mais pour faire de l’art. Car la danse ne sert à rien. Le corps est mis en action, mais sans aucune application pratique : il gesticule. Pour rien. Même pas pour la santé du corps. On danse pour le plaisir plutôt que la gym. C’est un plaisir vain : on enchaine des mouvement totalement inutiles, on les répète en rythme, et voilà que cela nous procure une sensation délicieuse, délirante.

La danse est la mise en action du corps humain, une gesticulation. Même si l’aérobic n’est plus tout à fait une danse, il ne s’agit pas de culturisme, d’éducation physique. On ne danse pas pour donner de l’exercice au corps, mais pour faire de l’art. Car la danse ne sert à rien. Le corps est mis en action, mais sans aucune application pratique : il gesticule. Pour rien. Même pas pour la santé du corps. On danse pour le plaisir plutôt que la gym. C’est un plaisir vain : on enchaine des mouvement totalement inutiles, on les répète en rythme, et voilà que cela nous procure une sensation délicieuse, délirante.

C’est en ce sens que la danse est un art : nous pourrions nous consacrer à accomplir des gestes utiles, et seulement ces gestes. La danse n’est pas nécessaire. Comme tout art, elle est superflue. Et même il faut se détacher de tout ce qui est utile pour enfin danser : si vous pensez à accomplir des actions utiles, vous ne pourrez pas danser.

Remarquons au passage qu’il en va de même de la pensée : l’homme qui médite n’est plus capable de faire grand-chose d’autre. Plus nous philosophons, moins nous agissons de façon utile à notre conservation. Les soucis terrestres empêchent l’homme de penser aussi.

La beauté est dans le geste, pas dans les muscles (qu’on met en mouvement pour séduire), on ne danse pas pour faire du sport. On est pris par la danse : on bouge sans vraiment le faire exprès, même si nos gestes peuvent paraître ridicules –ils le sont toujours s’ils ne sont assumés. Assumer ce corps qui parle ne va pas de soi.

L’homme qui danse serait bien incapable de dire ce qu’il ressent –ou alors il faudra qu’il cesse de danser, pour parler. Et toute la magie de la danse sera perdue. L’homme qui danse est habité il n’est plus un libre penseur. Bizarrement, on ne peut plus lui parler du contexte géopolitique, ni de l’ipséité ontologico-historiale de l’être. Il n’a plus aucun sens critique, des mouvements lui viennent sans qu’il les pense. La danse n’a pas de sens, elle ne fait appel qu’à des sensations.

On peut se mettre à gesticuler de façon débile (c’est la danse des canards, la chenille qui redémarre, etc), et danser avec conviction. Car les gestes ne signifient rien : on ne danse pas pour transmettre un message, mais un sentiment. On peut danser joyeusement, gravement, on peut y mettre de l’émotion, mais pas un sens précis. On ne comprend pas une danse en la dansant. On la vit. Il ne s’agit pas de comprendre, mais seulement d’éprouver quelque chose, une sorte d’exaltation, qu’un intellectuel ne peut penser. La plupart du temps, un intellectuel ne danse pas, ou danse mal. Sa raison froide ne lui sert à rien. Au contraire, elle lui pèse. Elle freine chacun de ses pas. La raison froide gèle les cœurs. La pensée est trop grave, trop lourde, pour le danseur, il faut y ajouter la « raison du cœur », qui sent, qui vibre, qui ressent, qui se prend l’esprit (spiritus : le souffle de l’âme) en pleine poire. La danse n’a pas de sens : il ne s'agit pas d'un message, au sens intellectuel du terme, il s'agit d'une révélation spirituelle, à laquelle on ne peut accéder que si on est mis dans un état de grâce. C'est plus subtile et plus accessible que la parole même. Le danseur est envouté, il perd la raison. Il ne pense plus, il vibre. Il est perdu : voilà qu'il se met à danser n'importe comment. Il n'a plus aucun sens critique, sa raison l'a quitté. Personnellement j'adore ça, quand je danse n’importe comment. Il ne faut surtout pas qu’à ce moment on me demande pourquoi je fais tel ou tel geste, il ne faut pas non plus qu’on me parle de ma déclaration d’impôt, ou du statut des refugiés syriens. Je suis beaucoup plus exalté que quand je lis la Critique de la raison pure. Si, si. La raison du cœur est celle du choeur : ceux qui chantent ensemble savent que le texte importe peu, du moment qu'on chante bien ensemble : ce qui importe c'est l'harmonie des voix, l'enthousiasme qu'on ressent et qu’on communique. Les choristes chantent souvent en une langue qu'ils ne comprennent même pas : l’emprise qu’ils ressentent et communique n’en est pas moins forte ; ils sont pris par la magie non pas des mots mais des sons. C'est la musicalité qui fait sens (si on peut appeler « sens » ce truc bizarre qui fait vibrer les cœurs sans qu'on sache pourquoi). Il y a quelque chose de plus fort, de plus important que la réalité terrestre, et c’est cette chose là qui fait danser. C’est pourquoi la danse est si importante dans les rituels religieux. On est en extase, le danseur est comme une flamme, son corps brule une énergie intense venue d’un au-delà. On a quitté la terre (d’où peut-être l’expression « s’envoyer en l’air »), la danse est une provocation à l’équilibre ordinaire, provocation répétée, car il y a des rythmes, des périodes qui se succèdent, des mesures, qu’on prend, qu’on perd… Celui qui danse n’est plus qu’un corps enflammé, il ne semble plus percevoir le monde terrestre qu’il n’habite plus. Il s’en est délivré : c’est ça la légèreté, c’est la négation des impératifs de la réalité. Elle n’est même pas niée : juste oubliée ; J’ai oublié que si je jette mes jambes, mes pieds, mes bras, mes mains dans tous les sens, ça va me fatiguer et je risque de tomber. Aucune importance : je suis un funambule jouant avec la corde, comme pour la nier. Je ne bouge pas dans un but précis, sinon pour bouger : il n’y a pas de but à mes gesticulations. Je ne suis pas en train de FAIRE quelque chose de précis, comme prendre un objet, aller quelque part. Je suis à l’intérieur de moi, dans mon ressenti, et j’ai oublié qu’ »il y avait un extérieur. Le danseur n’est plus ici, il est dans un au-delà, ses actes n’ont plus de but ici-bas. Il est à l’intérieur de lui, et il n’y a plus d’extérieur. Son sourire ne sourit à personne, il n’est pas dans une relation pratique avec le monde.


François Housset

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