Réussir sa vie
Par François HOUSSET | Les Textes #9 | 16 commentaires | |
“Réussir sa vie”, qu’est-ce que ça veut dire ? L’expression paraît inadéquate : la vie suit de toute façon des processus qui nous sont étrangers. On ne parvient pas à vivre comme on atteindrait un objectif déterminé, parce qu'on n'a pas choisi de naître : on se trouve projeté dans l'existence sans avoir rien demandé ! Réussir sa vie, ça n’est pas simplement vivre. Alors c’est quoi ?
On peut réussir quelque chose à partir du moment où l’on sait quoi réussir : il est possible de réussir sa sauce béchamel, parce qu’on sait ce qu’est une sauce béchamel et comment la préparer. Mais une vie, ça se réussit comment ?
Considérer sa propre vie comme un projet paraît dès l’abord irréaliste : on prend sa propre vie comme on prend un train en marche. Bizarre projet en parti accompli. Nous sommes vivants avant même de décider que nous allons vivre.
On vante pourtant la persévérance, le louable effort, voire opiniâtreté de ceux qui “pensent leur vie”, la mènent de bout en bout... comme si elle leur appartenait. C’est supposer qu’il y a moyen de programmer sa vie, ne serait-ce qu’en partie, d’agir efficacement sur elle. C’est dire qu’elle a des mécanismes maîtrisables.
Alors une vie réussie, comment ça marche ?
Il y a des critères de réussite : l’amour (marié, concubin, pacsé...), des enfants, une maison, une voiture, de l’argent, un travail intéressant et valorisant, des amis... en voilà des objectifs ! Suffit-il de les atteindre pour réussir sa vie ? Sont-ils une finalité, ou plutôt un ensemble de moyens pour atteindre le but suprême : une vie “bonne” ?
Question difficile : il s’agit de savoir si l’on peut faire de sa vie une œuvre, bien vivre comme on joue bien du piano ! Si c’est possible, il ne s’agit que de trouver la recette : la vie doit avoir un mode d’emploi. Lequel ? Il y en a, des “trucs” pour se sentir en bonne condition physique et psychique ! Il en fourmille : entre les principes religieux, sociaux, éthiques... Lesquels choisir ? Faut-il choisir ?
Pour commencer modestement le catalogue de ces trucs, on peut en toute simplicité se demander comment être soi-même. Cela semble superflu (a priori je suis déjà moi-même, et je n’ai pas à l’être), mais il faut se trouver, se connaître soi-même, pour adhérer le mieux possible à sa propre personnalité, satisfaire ses besoins singuliers, et poursuivre le chemin approprié pour donner soi-même un sens à sa vie. Bel objectif : encore faut-il pouvoir ne pas s’en détourner... Vœu pieux : l’inconscient nous dirige à notre insu, nous devons accepter de vivre dans des situations contingentes qui ne dépendent pas de nous, bien des obstacles arrêtent notre prétendue bonne volonté !
Il y a du boulot : s’efforcer de vaincre ou de contourner les obstacles... pour...
Pourquoi faire tout cela ? Pourquoi déterminer à quelle sauce nous voulons nous préparer nous-mêmes, et quel programme nous devons suivre ?
La question devient “pourquoi vit-on ?” : il faut bien vivre pour quelque chose ( vivre pour rien ce serait gâcher sa vie). Si nous ne pouvons résoudre la question du sens de la vie, osons dire qu’il est plus aisé de rater sa vie, en ne cherchant plus à lui donner de sens. Le raisonnement est facile et assez déprimant : il n’y a pas de raison pour que j’existe, pour que quelque chose existe plutôt que rien. Constat qui laisse perplexe : on est habitué à ce que les systèmes philosophiques justifient notre existence. Mais les voici rejetés en bloc : aucune nécessité ne répond de mon existence. Je n’ai aucune raison de la porter. Réussir sa vie n’est plus un objectif : on ne réussit pas sans but à atteindre !
Nous éprouvons l’absurdité de l’existence si nous adoptons la lucidité de Sisyphe en regardant le monde : nous n’y trouvons pas notre place. Il est le résultat de processus où nous n’avons rien à faire. Il n’existe pas pour nous. Pourrait-on affirmer que la vie n’a de sens que celui que nous inventons, ce qui ferait de nous des Hommes libres, donnant sens au monde, presque portant le monde ? Serions-nous des Sisyphe, portant nos inutiles existences avec un effort tout aussi héroïque et vain ?
On ne s’assoit pas devant sa vie pour se demander ce qu’on va en faire : on en fait partie, et on en dépend comme tout vivant. Constat terrible, mais qu’il est grand temps de faire : l’Homme n’est pas surnaturel ! Nous voilà ramenés au rang de toute chose, existant sans raison qui lui soit propre. Seuls ceux qui se prennent encore pour des dieux prétendent s’en faire les maîtres et possesseurs : la vie nous mène plus que nous la menons, sans que cela ait de sens, ni pour nous, ni pour elle. Notre élan vital lui-même nous a été donné sans que nous y soyons pour rien, comme à tout être vivant : pour reprendre le mot de Camus, “nous prenons l’habitude de vivre avant même de prendre celle de penser.” Envisager la vie avec distance est dès lors impossible : je ne suis pas la vie, ni même celui qui la pense. Je suis contenu dans la vie, modelé par elle, jusqu’aux enchevêtrements de ma pensée ; je n’en suis qu’un épiphénomène. Si la vie a un sens, il n’appartient donc pas à l’Homme. Mais notre sujet nous oblige à ne pas considérer la vie en général, mais sa vie, ce qui nous sauve. Ma vie n’est pas le simple fait d’avoir un paquet d’organe me permettant d’exister. Ma vie, c’est moi, mon appétit, mon élan, ma persévérance, qui véritablement m’appartiennent. Alors on comprend des expressions telles que “vivre enfin”, “la vraie vie”, etc. Réussir sa vie, c’est bel et bien réussir à être soi.
Citations :
Si je n’essayais pas de reprendre mon existence à mon compte, ça me semblerai tellement absurde d’exister.
Sartre, Les Chemins de la liberté. I. L’âge de raison. Chap. 1
L’enfer ici bas, c’est de laisser fuir cette vie unique sans rire et sans jouir, sans céder à la folie, sans partir conquérir amour plaisir et fortune.
Philippe Val. Le SIDA a rendez-vous avec la Lune.
Vivre, ce n’est pas respirer, c’est agir ; c’est faire usage de nos organes, de nos sens, de nos facultés, de toutes les parties de nous-mêmes, qui nous donnent le sentiment de notre existence. L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie.
Rousseau. Émile, livre I Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie.
Camus., Le Mythe de Sisyphe, L’absurde et le suicide.
La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.
Ibid., Le Mythe de Sisyphe
L’unité de la pensée et de la vie est complexe : un pas pour la vie, un pas pour la pensée. L’un va de pair avec l’autre, alors pourquoi cette impression de ne pas suivre le même chemin, que je vive ou pense ? Les modes de vie inspirent des façons de penser, les modes de pensée créent des façons de vivre. La vie active la pensée, et la pensée à son tour affirme la vie.
Gilles Deleuze. Nietzsche (PUF Philosophes, 1965)
Lectures :
- ARISTOTE : Éthique à Nicomaque, X, 7 : L’homme libre ne veut pas simplement vivre, mais vivre bien. C’est donc le sujet du verbe “vivre” qui en précise le sens.
- NABERT : Essai sur le mal : l’existence est injustifiée, ce qui est injustifiable (et pas seulement inexplicable). Nous sommes, mais nous ne devrions pas être.
- CAMUS : L’homme révolté. Se révolte contre l’absurdité (raison suffisante pour qu’il choisisse d’y mettre de l’ordre). Attitude héroïque.
- BERGSON : L’Évolution créatrice, chap. III ; L’Énergie spirituelle, I,II et VII ; La pensée et le mouvant, IX
- E. CALLOT, Philosophie biologique
- E. WOLFF, Vie et finalité, dans la Raison Philosophique, juil-sept 1965
Liens internes :
- Le bonheur
- La vie vaut-elle la peine d'être vécue ?
- Ma vie m'appartient
- Flamber sa vie
- Le sens a-t-il un sens ?
- Je ne sais pas d'avance mais j'avance
- Soin qualité de vie et bonheur
- Une vie de chien
- Notre perception de la mort
- Peut-on oublier que l’on va mourir ?
Liens externes :
Sur la responsabilité de soi-même :
http://www.france3.fr/fr3/philo/philo.html#TIT10
Donner sens à sa vie, son boulot, être efficace :
http://www.comby.org/livres/exaprefr.htm
Réussir sa vie de couple, surmonter la dépression, l’anxiété, le stress, vaincre la solitude, etc (conseils psy) :
http://ww.total.net/~hdv35warbf/B.html
Éveil : formuler des projets de vie :
http://www.eveil.asso.fr/Stages.html
Règles pour la direction de l’esprit :
http://www.total.net/~hdv35warbf/Honneurs.html
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