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Morale et religion

Sans religion, il n’y a plus de morale. C’est en tout cas l’avis du religieux, qui ne sépare pas son comportement moral de sa religion. Ne croyant pas en un dieu rédempteur et punisseur de ses fautes, l’athée se croirait tout permis et n’agirait dès lors que pour son bien particulier. Intéressé, donc égoïste, il ne concevrait pas de Bien absolu pour lequel il serait prêt à sacrifier ses propres intérêts.

Salon Philo du 16 décembre 2011





Catherine, Charlie Hebdo 9 novembre 2011





On parle de LA morale, au singulier, quand il y a plusieurs religions. Elle devrait donc n’être propre à aucune religion particulière. Le croyant lui-même, quand il obéit à ses principes religieux, ne fait que privilégier sa chapelle, ce qui le révèle égoïste, immoral comme l’athée qui ne penserait qu’à lui.

Il ne doit pas y avoir de morale particulière : s’il existe un Bien réel, il vaut pour tous les hommes, et tous doivent s’y conformer. Puisqu’une religion n’est jamais que particulière à un ensemble particulier d’hommes, il faut supposer que LA morale soit sans religion, pour qu’enfin elle soit universelle.

Les faits contredisent cette supposition. Même les athées n’appellent “morale” qu’une morale toute relative : un crime suscitera une indignation s’il a été commis en France et si les victimes sont des femmes ou des enfants sans défense, quand un massacre organisé au Darfour n’intéresse pas grand monde. C’est loin, le Darfour... Une “morale au kilomètre” nous fait privilégier non pas nos prochains, mais ceux qui sont à proximité (et encore, ceux qui semblent “mériter” la pitié : le viol d’une adolescente provoque plus d’indignation que l’assassinat d’un SDF). N’y aurait il donc aucune morale digne de ce nom, qui considèrerait tout être humain en tout lieu comme pareillement respectable ?
Historiquement, c’est d’abord la religion qui a donné aux hommes des principes moraux : l’interdiction de tuer, l’obligation de respecter son prochain, voire de l’aimer, n’ont eu force de loi qu’au nom de principes religieux. Un dieu les avait énoncés, ils étaient donc indéniablement bons. Les religions en ont fait des principes sacrés, ce qui les a rendu efficaces. Mais inadéquats : le caractère rituel de toute religion oblige à supposer que les lois morales, ayant été écrites une fois pour toutes par un dieu bon et parfait, doivent être toujours respectées, et jamais modifiées. Or la morale religieuse n'est plus d’actualité (cf la morale aujourd'hui) : l’essence de la religion est d’ordre traditionnel, ses principes se veulent immuables alors qu’on constate une évolution du “mal” (par exemple être homosexuel ou divorcer n‘est plus considéré comme une faute dans notre “morale moderne”). La morale religieuse devient caduque, quand la morale laïque est relative, dépendante de la situation psycho-socio-politico-culturelle.
Devons-nous pour autant nous résoudre à vivre sans morale ? Après tout, étant limités, nous devrions nous contenter d’éthiques particulières à nos milieux, à notre temps, à notre société...
On voit le danger de ce renoncement : il faudrait privilégier les siens, les préférer aux inconnus, n’être humain qu’avec ses proches, refuser l’hospitalité, le respect, de ceux qui nous sont étrangers... qui deviendraient des ennemis ou des boucs émissaires. Pour rester humain, civil, non pas seulement avec certains, mais avec tous les hommes, il nous faut une morale universelle, quand bien même cela paraît impossible à de simples hommes, singuliers, limités.

“Les desseins de Dieu sont impénétrables”, or l’homme ne paraît pas apprécier ce qui le dépasse : il se réapproprie donc la religion, en reformulant ses principes pour les actualiser. D’où l’idée de concevoir une morale qui transcende, réunit et fédère les autres “morales”. Par exemple la Déclaration dite universelle des Droits de l’Homme fait ressortir les points de convergence des religions.

Mais ces nouvelles morales restent relatives : la Chine, l’Afrique, le Moyen Orient, reconnaissent d’autres droits “universels” de l’homme, et l’Europe elle-même ne les respecte pas. Du culte de Dieu, des tentatives ont bien été faites pour passer au culte de l’humanité, mais on ne sait pas encore de quelle humanité il peut s’agir, le culte de l’argent-roi restant le plus prisé.

La vertu n’est pas l’apanage des religions (on le constate par le fait qu’elles recourent souvent à des chantages -le Paradis, l’Enfer, le Dieu punisseur et rédempteur : elles forcent la vertu quand il faudrait qu’elle aille de soi). Il faudrait rendre évident pour tout homme que l’intérêt général dépasse de loin l’intérêt particulier, qu’en toute occasion l’intérêt particulier doit lui être sacrifié. Une véritable morale doit pouvoir aller contre l’intérêt même de celui qui la respecte, avantage que l’on retrouve en religion, où des martyrs deviennent des modèles.

L’homme étant trop faible encore pour être spontanément humain, il lui faut des règles auxquelles il ne puisse échapper qu’à son désavantage : trop irresponsable pour être moral, il doit subir des injections de moraline à forte dose. Les bons principes, qu’ils soient laïques ou religieux, ne peuvent encore valoir que tant que les hommes se trouvent forcés d’y obéir. De fait, la religion, comme tout système liant les hommes en leur donnant des règles, reste une béquille indispensable pour notre pauvre humanité constituée d’hommes handicapés d'humanisme.

François Housset

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Siné









Citations

“Qu’est-ce que la religion ? - Une croyance commune qui lie les hommes et les pousse par un effort commun vers un but commun.
Jusqu’à présent a-t-il véritablement existé une religion sur la terre ?
- Non. La terre a été tyrannisée, divisée, ensanglantée par cent cultes différents; aucun lien commun n’a rassemblé les hommes : il n’a donc pas existé de religion.”
Richard LAHAUTIÈRE Petit catéchisme de la réforme sociale, 1839, chap.III.

“La cohésion sociale est due en grande partie à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres. C’est d’abord contre tous les autres hommes qu’on aime les hommes avec lesquels on vit.”
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion.

"Quand un homme me vient dire qu'il ne croit rien et que la religion est une chimère, il me fait là une fort mauvaise confidence, car je dois avoir sans doute beaucoup de jalousie d'un avantage terrible qu'il a sur moi. Comment ! il peut corrompre ma femme et ma fille sans remords, pendant que j'en serais détourné par la crainte de l'enfer ! La partie n'est pas égale. Qu'il ne croie rien, j'y consens, mais qu'il s'en aille vivre dans un autre pays, avec ceux qui lui ressemblent, ou, tout au moins, qu'il se cache et qu'il ne vienne point insulter à ma crédulité."
Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu/ Spicilège

L'esprit libre et curieux de l'homme est ce qui a le plus de prix au monde. Et voici pour quoi je me battrai : la liberté pour l'esprit de prendre quelque direction qui lui plaise. Et voici contre quoi je me battrai : toute idée, religion ou gouvernement qui limite ou détruit la notion d'individualité.
J. STEINBECK, A l'Est d'Eden, ch. X111

“Tant que la religion reste une affaire entre soi et soi, après tout, il s’agit seulement de névroses, psychoses et autres affaires privées. On a les perversions qu’on peut, tant qu’elles ne mettent pas en danger ou en péril la vie d’autrui... Mon athéisme s’active quand la croyance privée devient une affaire publique et qu’au nom d’une pathologie mentale personnelle on organise aussi pour autrui le monde en conséquence. Car de l’angoisse existentielle personnelle à la gestion du corps et de l’âme d’autrui, il existe un monde dans lequel s’activent, embusqués, les profiteurs de cette misère spirituelle et mentale. Détourner la pulsion de mort qui les travaille sur la totalité du monde ne sauve pas le tourmenté et ne change rien à sa misère, mais contamine l’univers.”
Michel Onfray, Traité d’athéologie. Grasset 2005, p. 29

“Il faut n’aimer que Dieu et ne haïr que soi.”
Pascal

“Penser c’est dire non. Remarquez comme le signe du oui est d’un homme qui s’endort. Au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Réfléchir c’est nier ce que l’on croit.”
Alain, Propos sur la religion.

Nous seulement l'individualisme n'est pas l'anarchie, mais c'est désormais le seul système de croyances qui puisse assurer l'unité morale du pays. On entend souvent dire aujourd'hui que, seule, une religion peut produire cette harmonie. Cette proposition, que de modernes prophètes croient devoir développer d'un ton mystique, est, au fond, un simple truisme sur lequel tout le monde peut s'accorder. Car on sait aujourd'hui qu'une religion n'implique pas nécessairement des symboles et des rites proprement dits, des temples et des prêtres; tout cet appareil extérieur n'en est que la partie superficielle. Essentiellement, elle n'est a autre chose qu'un ensemble de croyances et de pratiques collectives d'une particulière autorité. Dès qu'une fin est poursuivie par tout un peuple, elle acquiert, par suite de cette adhésion unanime, une sorte de suprématie morale qui l'élève bien au-dessus des fins privées et lui donne ainsi un caractère religieux. D'un autre côté, il est évident qu'une société ne peut être cohérente s'il n'existe entre ses membres une certaine communauté intellectuelle et morale. Seulement, quand on a rappelé une fois de plus cette évidence sociologique, on n'est pas beaucoup plus avancé; car s'il est vrai qu'une religion est, en un sens, indispensable, il est non moins certain que les religions se transforment, que celle d'hier ne saurait être celle de demain. L'important serait donc de nous dire ce que doit être la religion d'aujourd'hui.
DURKHEIM, “L’individualisme et les intellectuels”, in La Science sociale et l’action, PUF 1987, p. 268-272

De mêmé que la Religion, le Gouvernement est une manifestation de la spontanéité sociale, une préparation de l'Humanité à un état supérieur. Ce que l'Humanité cherche dans la Religion et qu'elle appelle DIEU, c'est elle-même. Ce que le citoyen cherche dans le Gouvernement et qu'il nomme Roi, Empereur ou Président, c'est lui-même aussi, c'est la LIBERTÉ. Hors de l'Humanité, point de Dieu ; le concept théologique n'a pas de sens: —Hors de la Liberté, point de Gouvernement; le concept politique est sans valeur.
PROUDHON, Les confessions d'un révolutionnaire, pour servir à l'histoire

"Enfer chrétien, du feu. Enfer païen, du feu. Enfer mahométan, du feu. Enfer hindou, des flammes. A en croire les religions, Dieu est né rôtisseur."
Victor Hugo / Choses vues / 1887)



“Il s’agit de décider lequel a tort, ou de Dieu ou de la morale.”
Fourier, Le nouveau monde industriel.

“Rien n’est contraire à ce qu’on nomme la religion comme ce qu’on nomme la morale; la morale enduit l’homme contre la grâce.”
Péguy.

“La cohésion sociale est due en grande partie à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres. C’est d’abord contre tous les autres hommes qu’on aime les hommes avec lesquels on vit.”
Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion.

“Il n’y avait que moi : j’ai décidé seul du Mal, seul j’ai inventé le bien.”
Sartre, Le Diable et le bon Dieu.

“L’homme est pour l’homme l’être suprême.”
Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel.

“Si Dieu n’existe pas, tout est permis.”
Dostoiewski, Les Frères Karamazov

C’est à l’envers qu’il faut prendre la formule de Dostoïevski ; si l’homme existe, tout n’est plus permis à Dieu.”
Michel Verret, Les marxistes et la religion.

“La vieille idée persiste de l’athée immoral, amoral, sans foi ni loi éthique. Le lieu commun pour classes terminales en vertu de quoi “si Dieu n’existe pas, alors tout est permis” - rengaine prélevée dans les Frères Karamazov de Dostoïevski - continue à produire des effets et l’on associe effectivement la mort, la haine et la misère à des individus qui se réclameraient de l’absence de Dieu pour commettre leurs forfaits. Cette thèse fautive mérite un démontage en bonne et due forme. Car l’inverse me semble bien plutôt vrai : “Parce que Dieu existe, alors tout est permis...” Je m’explique. Trois millénaires témoignent, des premiers textes de l’Ancien Testament à aujourd’hui : l’affirmation d’un Dieu unique, violent, jaloux, querelleur, intolérant, belliqueux a généré plus de haine, de sang, de morts, de brutalité que de paix... Le fantasme juif du peuple élu qui légitime le colonialisme, l’expropriation, la haine, l’animosité entre les peuples, puis la théocratie autoritaire et armée ; la référence chrétienne des marchands du Temple ou d’un Jésus paulinien prétendant venir pour apporter le glaive, qui justifie les Croisades, l’Inquisition, les guerres de Religion, la Saint-Barthélemy, les bûchers, l’Index, mais aussi le colonialisme planétaire, les ethnocides nord-américains, le soutien aux fascismes du XXè siècle, et la toute-puissance temporelle du Vatican depuis des siècles dans le moindre détail de la vie quotidienne ; la revendication claire à presque toutes les pages du Coran d’un appel à détruire les infidèles, leur religion, leur culture, leur civilisation, mais aussi les juifs et les chrétiens - au nom d’un Dieu miséricordieux ! Voilà autant de pistes pour creuser cette idée que, justement, à cause de l’existence de Dieu tout est permis - en lui, par lui, en son nom, sans que ni les fidèles ni le clergé, ni le petit peuple, ni les hautes sphères n’y trouvent à redire...”
Michel Onfray, Traité d’athéologie. Grasset 2005, p. 68

“Un Dieu peut pardonner, effacer, compenser; mais si Dieu n’existe pas, les fautes de l’homme sont inexpiables.”
Simone De Beauvoir, Une morale de l’ambiguïté.

“Les peuples se font des autres peuples l’image que le leur ont donné les journaux ; les membres d’une Église se font d’une autre Église celle qu’on leur inculque dans la leur.”
Tournier, Technique et foi.






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Commentaires

Effectivement il est des vérités qui dérangent... D'autant plus que certaines églises ne remplissent plus leur rôle
parfois...
Mais n'oubliez pas que chez certains peuples la religion fait aussi partie du fondement de leur identité. Si vous touchez à leur religion, vous touchez à leur identité.
Il est choquant de constater de nos jours que beaucoup de personnes n'ont qu'une mauvaise ou très partiale connaissance des diverses religions. L'intérêt à l'autre "s'amenuise". On tend vers un espèce d'uniformisme. Le vrai croyant ne privilégie pas que "sa chapelle". Et puis la morale religieuse peut aussi être corrompue par le Pouvoir. Ca aussi c'est d'actualité. Tout le monde critique l'individualisme mais finalement être humain semble en effet demander un effort "surhumain". Pourtant dans l'humanisme c'est ceux qui en parlent le moins qui en font le plus.

A QUOI SERT L'ENNUI ? Nouveau thème proposé par fée clochette

Ne soyez pas tous surpris par la question ? J'ai souvent observé que beaucoup de nos contemporains s'ennuyaient. Comme je suis impatiente de savoir quel est la raison, je lance la question. Soyez nombreux à me répondre, ça m'intéresse.
Par Fée Clochettes

AU NOM DE FRÉMION LE MISÉRICORDIAL, LE TOUT PUISSANT...

Au nom de ceux sans dieux ni maîtres, sans maîtres ni esclaves, des athées du monde entier, aujourd’hui brimés, méprisés, pourchassés, torturés, mutilés, casse-couillés par les religieux de la planète -que leurs testicules restent asséchés comme le vagin de leurs femmes - au nom de ceux qui n’en peuvent plus des fatwas, des guerres saintes, des interdits, des prescriptions et des Torah, des Bible et des Coran dont la simple lecture rend impuissant, nous édictons aujourd’hui les commandements suivants, immédiatement applicables :
- les célébrations de culte seront réprimées sans sommation ;
- tout dirigeant religieux, toutes confessions confondues, sera castré afin que la race s’en éteigne ;
- toute femme épousant ou ayant des relations sexuelles avec un croyant sera lynchée
- tout croyant de confession musulmane ou juive devra manger du porc au moins une fois par jour ;
- tout chrétien qui ne renonce pas à sa religion sera jeté aux lions ;
- toute personne ayant pratiqué la circoncision ou toute autre mutilation sexuelle devra manger les morceaux enlevés ; crus et sans sauce ;
- tout livre sacré qui ne contient pas au moins un calembour par page sera détruit par le feu...
- toutes les femmes fidèles seront lapidées ;
- le mariage des homosexuels est obligatoire ;
- toute personne susceptible d’avoir été crédule à un moment de sa vie ne peut être admise à la citoyenneté (avec les droits afférents) qu’après une cure de désintoxication proportionnelle à son taux de crédulité ;
- les incroyants, les mécréants, les incrédules, les athées, les anticléricaux de tous pays sont chargés de l’exécution de ce qui précède.
Au nom de Frémion le miséricordieux, le tout-puissant, le jeune heureux, le chef de la gazette, le buveur de lune, le sodomite errant, l’in(dis)pensable, que ceci soit et si ceci se sait, ces soucis seront sans suite. C’est sûr.
Abou Dner

Laïcité : les cinq fautes
du président de la République publié dans le Figaro

Par Henri Pena-Ruiz, philosophe, professeur, écrivain, ancien membre de la commission Stasi sur l'application du principe de laïcité dans la République.
Derniers ouvrages parus : Qu'est-ce que la laïcité ? (Gallimard) et Leçons sur le bonheur (Flammarion).
Nicolas Sarkozy a prononcé au Vatican, un discours choquant à plus d'un titre. Soutenir, en somme, que la religion mérite un privilège public car elle seule ouvrirait sur le sens profond de la vie humaine est une profession de foi discriminatoire. Il est regrettable qu'à un tel niveau de responsabilité cinq fautes majeures se conjuguent ainsi.
Une faute morale d'abord. Lisons : «Ceux qui ne croient pas doivent être protégés de toute forme d'intolérance et de prosélytisme. Mais un homme qui croit, c'est un homme qui espère. Et l'intérêt de la République, c'est qu'il y ait beaucoup d'hommes et de femmes qui espèrent.»
Dénier implicitement l'espérance aux humanistes athées est inadmissible. C'est montrer bien peu de respect pour ceux qui fondent leur dévouement pour la solidarité ou la justice sur un humanisme sans référence divine. Ils seront nombreux en France à se sentir blessés par de tels propos. Était-ce bien la peine de rendre hommage au jeune communiste athée Guy Môquet pour ainsi le disqualifier ensuite en lui déniant toute espérance et toute visée du sens ? En fait, monsieur le président, vous réduisez indûment la spiritualité à la religion, et la transcendance à la transcendance religieuse. Un jeune héros de la Résistance transcende la peur de mourir pour défendre la liberté, comme le firent tant d'humanistes athées à côté de croyants résistants.
Une faute politique. Tout se passe comme si M. Sarkozy était incapable de distinguer ses convictions personnelles de ce qui lui est permis de dire publiquement dans l'exercice de ses fonctions, celles d'un président de la République qui se doit de représenter tous les Français à égalité, sans discrimination ni privilège. Si un simple fonctionnaire, un professeur par exemple, commettait une telle confusion dans l'exercice de ses fonctions, il serait à juste titre rappelé au devoir de réserve. Il est regrettable que le chef de l'État ne donne pas l'exemple. Curieux oubli de la déontologie.
Une faute juridique. Dans un État de droit, il n'appartient pas aux tenants du pouvoir politique de hiérarchiser les options spirituelles, et de décerner un privilège à une certaine façon de concevoir la vie spirituelle ou l'accomplissement humain. Kant dénonçait le paternalisme des dirigeants politiques qui infantilisent le peuple en valorisant autoritairement une certaine façon de conduire sa vie et sa spiritualité. Des citoyens respectés sont assez grands pour savoir ce qu'ils ont à faire en la matière, et ils n'ont pas besoin de leçons de spiritualité conforme.
Lisons à nouveau : «Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur.» On est surpris d'une telle hiérarchie éthique entre l'instituteur et le curé. L'école de la République a été inventée pour que les êtres humains puissent se passer de maître. Tel est l'honneur des instituteurs et des professeurs.
Grâce à l'instruction, l'autonomie éthique de chaque personne se fonde sur son autonomie de jugement. Elle n'a donc pas à être jugée moins bonne que la direction de conscience exercée par des tuteurs moraux. Étrange spiritualité que celle qui veut assujettir la conscience à la croyance !
Une faute historique. L'éloge du christianisme comme fondement de civilisation passe sous silence les terribles réalités historiques qui remontent à l'époque où l'Église catholique disposait du pouvoir temporel, puisque le pouvoir politique des princes était alors conçu comme son «bras séculier».
L'Occident chrétien peut-il s'enorgueillir du thème religieux du «peuple déicide» qui déboucha sur un antisémitisme particulièrement virulent là où l'Église était très puissante ? Les hérésies noyées dans le sang, les guerres de religion avec le massacre de la Saint-Barthélemy (3500 morts en un jour : autant que lors des attentats islamistes du 11 Septembre contre les Twin Towers), les croisades et les bûchers de l'Inquisition (Giordano Bruno brûlé vif en 1600 à Rome), l'Index Librorum Prohibitorum, censure de la culture humaine, l'anathématisation des droits de l'homme et de la liberté de conscience (syllabus de 1864) doivent-ils être oubliés ? Les racines de l'Europe ? L'héritage religieux est pour le moins ambigu…
L'approche discriminatoire est évidente dès lors que le christianisme est invoqué sans référence aux atrocités mentionnées, alors que les idéaux des Lumières, de l'émancipation collective, et du communisme sont quant à eux stigmatisés à mots couverts au nom de réalités contestables qu'ils auraient engendrées. Pourquoi dans un cas délier le projet spirituel de l'histoire réelle, et dans l'autre procéder à l'amalgame ? Si Jésus n'est pas responsable de Torquemada, pourquoi Marx le serait-il de Staline ? De grâce, monsieur le président, ne réécrivez pas l'histoire à sens unique !
Comment par ailleurs osez-vous parler de la Loi de séparation de l'État et des Églises de 1905 comme d'une sorte de violence faite à la religion, alors qu'elle ne fit qu'émanciper l'État de l'Église et l'Église de l'État ? Abolir les privilèges publics des religions, c'est tout simplement rappeler que la foi religieuse ne doit engager que les croyants et eux seuls. Si la promotion de l'égalité est une violence, alors le triptyque républicain en est une. Quant aux droits de l'homme d'abord proclamés en Europe, ils proviennent de la théorie du droit naturel, elle-même inspirée de l'humanisme de la philosophie antique et notamment de l'universalisme stoïcien, et non du christianisme. Si on veut à tout prix évoquer les racines, il faut les citer toutes, et de façon équitable.
Une faute culturelle. Toute valorisation unilatérale d'une civilisation implicitement assimilée à une religion dominante risque de déboucher sur une logique de choc des civilisations et de guerre des dieux. Il n'est pas judicieux de revenir ainsi à une conception de la nation ou d'un groupe de nations qui exalterait un particularisme religieux, au lieu de mettre en valeur les conquêtes du droit, souvent à rebours des traditions religieuses. Comment des peuples ayant vécu avec des choix religieux différents peuvent-ils admettre un tel privilège pour ce qui n'est qu'un particularisme, alors que ce qui vaut dans un espace politique de droit c'est justement la portée universelle de conquêtes effectuées souvent dans le sang et les larmes ?
Si l'Europe a une voix audible, ce n'est pas par la valorisation de ses racines religieuses, mais par celle de telles conquêtes. La liberté de conscience, l'égalité des droits, l'égalité des sexes, toujours en marche, signent non la supériorité d'une culture, mais la valeur exemplaire de luttes qui peuvent affranchir les cultures, à commencer par la culture dite occidentale, de leurs préjugés. Simone de Beauvoir rédigeant Le Deuxième Sexe pratiquait cette distanciation salutaire pour l'Occident chrétien. Taslima Nasreen fait de même au Bangladesh pour les théocraties islamistes. La culture, entendue comme émancipation du jugement, délivre ainsi des cultures, entendues comme traditions fermées. Assimiler l'individu à son groupe particulier, c'est lui faire courir le risque d'une soumission peu propice à sa liberté. Clouer les peuples à des identités collectives, religieuses ou autres, c'est les détourner de la recherche des droits universels, vecteurs de fraternité comme d'émancipation. Le danger du communautarisme n'est pas loin.
La laïcité, sans adjectif, ni positive ni négative, ne saurait être défigurée par des propos sans fondements. Elle ne se réduit pas à la liberté de croire ou de ne pas croire accordée avec une certaine condescendance aux «non-croyants». Elle implique la plénitude de l'égalité de traitement, par la République et son président, des athées et des croyants. Cette égalité, à l'évidence, est la condition d'une véritable fraternité, dans la référence au bien commun, qui est de tous. Monsieur le président, le résistant catholique Honoré d'Estienne d'Orves et l'humaniste athée Guy Môquet, celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas, ne méritent-ils pas même considération

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