Peut-on répondre à la question “QUI SUIS-JE” ?

On peut s’identifier en disant à quoi on est identique (cf Avoir une identité, est-ce s'identifier ? ), cela ne présente pas la singularité d’un homme. Dire “je suis quelqu’un” ne suffit pas, c’est ne rien dire !
On sera déjà plus précis en disant ce que l’on n’est pas : on se pose en s’opposant (cf Être contre ), mais cela ne suffit pas encore. Car même une liste exhaustive de ce que l’on n’est pas (impossible : la liste est infinie), ne dirait pas ce que l'on est.

Dira-ton ce que l'on pense être ? Ce que l’on pense de soi ? Ce serait éviter la question car il est douteux que l’on soit réellement ce que l’on pense être.
On sera au moins honnête en affirmant ne pas savoir qui l’on est : chacun s’échappe lui-même, se trouve différent au gré des situations et des perspectives adoptées par sa conscience troublée, toujours en construction.

Dès qu’une personne se juge en tant que personne extérieure, elle se voit comme un objet (erreur : elle est un sujet !) définissable. On veut se saisir de soi-même comme d’un objet, s’appartenir (cf Ma vie m'appartient). C’est illusoire : on fait comme si l’on était un objet, pour saisir son être. L’être est immuable, et je ne suis pas immuable. Je ne suis pas objet, mais projet : le “je” dont il s’agit ici de cerner les contours est en devenir.

Ne pas s’appartenir soi-même, ne pas pouvoir se scruter à loisir, voilà qui est inacceptable : j’en arrive à douter d’être moi-même ! Puisque je ne m’appartiens pas, tout effort pour sculpter ma propre statue, m’autodéterminer, est dérisoire. Car je ne sais même pas où je vais. Je comprends vaguement que l’humanité évolue, que je suis un homme, que je suis cette évolution, qui fait mon état -dans quel état j’erre ? dans quelle étagère suis-je ? Celle du haut ? Me voilà parvenu ! Celle du bas ? Me voilà atterré.

On ne répond jamais aussi bien à une question qu’en posant une autre question. La question “d’où viens-je?” permet de répondre à la question “qui suis-je ?" Je suis une histoire. Je suis le résultat d’évolutions formidablement complexes, j’ai des milliards d’années et je ne les fais pas. Car je suis tout jeune, palpitant dans ce présent. Mon formidable passé permet-il d’indiquer ma direction future ? Même pas.

Dans ce salon philosophique (au Casino de Forges) je prends une leçon en suivant le débat : je ne cesse d’élargir mon horizon, de me transformer à mesure que je suis informé. On n’est pas. On n’est rien : on devient. La richesse d’un homme est dans sa relation avec les autres, qui le constitue. Or cette relation est en acte, elle est changement. Je suis un mille-feuilles, dont chaque feulle a été écrite par une personne différente.

Prétendre se cerner, ne serait-ce que pour se présenter “en tant que”, avec une qualité, c’est déjà gonflé !

Que Madame S. se traite d’emmerdeuse, c’est vachement prétentieux de sa part !

On ne sait pas qui on est parce qu’on devient. On évoque l’exemple de celui qui voulait vivre de sa musique : il l’a tenté, puis est revenu travailler au casino : on sait ce qu’on n’est pas quand ce qu’on veut faire ne marche pas. Belle occasion pour crier haro sur ceux qui affirment qu’il n’y a pas d’essai : échouer c’est dire non. Il faut se tester pour se connaître, réussir pour savoir dans quoi ça (ce truc que je suis) marche. On se prendra d’abord pour Untel, puis, faute d’y parvenir, on se prendra enfin pour soi : c’est en forgeant qu’on devient forgeron.

François Housset













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